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Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/120

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l’art au point de vue sociologique.

être bonhomme. » Oui, et la formule est juste, l’art doit être bonhomme, c’est-à-dire point gourmé, point tendu, point poseur, accueillant pour toutes les choses de la vie et tous les êtres de la nature. Le véritable artiste ne doit pas voir et sentir les choses en artiste, mais en homme, en homme sociable et bienveillant, sans quoi le métier, tuant en lui le sentiment, finirait par ôter de ses œuvres la vie, qui est le fond solide de toute beauté.

Un des défauts caractéristiques auxquels se laisse bientôt aller celui qui vit trop exclusivement pour l’art, c’est de ne plus voir et sentir avec force dans la vie que ce qui lui paraît le plus facile à représenter par l’art, ce qui peut immédiatement se transposer dans le domaine de la fiction. Peu à peu l’art prend pour lui le pas sur la vie réelle ; toutes les fois qu’il est ému, il rapporte son émotion à cette fin pratique, l’intérêt de son art ; il ne sent plus pour sentir, mais pour utiliser sa sensation et la traduire. Il est comme l’acteur de profession, chez qui tout geste et toute parole perd son caractère spontané pour devenir une mimique ; c’est Talma cherchant à tirer parti même du cri de douleur sincère qui lui est échappé à la mort de son fils, et s’écoutant sangloter. Mais il y a cette différence que l’acteur, par cette perpétuelle étude de soi au point de vue de son art, altère surtout ses gestes et son accent, tandis que l’artiste peut altérer jusqu’à son sentiment même et fausser son propre cœur. Flaubert, qui était artiste dans la moelle des os et qui s’en piquait, a exprimé cet état d’esprit avec une précision merveilleuse : selon lui, vous êtes né pour l’art si les accidents du monde, dès qu’ils sont perçus, vous apparaissent transposés comme pour l’emploi d’une illusion à décrire, tellement que toutes les choses, y compris votre existence, ne vous semblent pas avoir d’autre utilité. Selon nous, un être ainsi organisé échouerait au contraire dans l’art, car il faut croire en la vie pour la rendre dans toute sa force ; il faut sentir ce qu’on sent, avant de se demander le pourquoi et de chercher à utiliser sa propre existence. C’est s’arrêter à la superficie des choses que d’y voir seulement des effets à saisir et à rendre, de confondre la nature avec un musée, de lui préférer même au besoin un musée. « Vous me mépriseriez trop, dit encore Flaubert à George Sand, si je vous disais qu’en Suisse je m’embête à crever… Je