que, dans le sentiment, il y a toujours une part très grande d’individualité. Le concret, sans lequel l’art en somme ne peut exister, est aussi le particulier. Le style, c’est l’homme même, conséquemment l’individu ; ajoutez que c’est en même temps la société présente à cet individu, c’est l’ensemble des imperceptibles modifications qu’apporte au sentiment personnel l’influence de toute une époque, c’est le « siècle, » qui nécessairement passe. Comment ne pas sourire quand nous entendons appeler Virginie « cette vertueuse demoiselle, » et cependant ce langage-là a été vrai et sincère il y a cent ans.
Il existe sans doute, au fond de tout individu comme de toute époque, un noyau de sensations vives et de sentiments spontanés qui lui est commun avec tous les autres individus et toutes les autres époques ; c’est le fonds de toute existence ; c’est le lieu et le moment où, en étant le plus soi-même, on se sent devenir autrui, où l’on saisit dans son propre cœur la pulsation profonde et immortelle de la vie. Mais ce centre où l’individu se confond avec l’humanité éternelle n’est qu’un point de la vie mentale ; il ne peut constituer l’objet unique de l’art. Il n’est guère atteint, d’ailleurs, que par la poésie lyrique. Et remarquons que les grands poètes lyriques, comme ceux des Védas et de la Bible, ont moins vieilli que les autres. La poésie dramatique ou épique repose beaucoup plus sur des conventions sociales.
Au contraire, il n’est pas de genre qui passe plus vite que l’éloquence. Il y a en tout orateur de l’acteur et du rhéteur, c’est-à-dire une part importante d’éphémère. L’effet profond d’un morceau d’éloquence ne dépasse guère son siècle ou le suivant. Nous voyons trop, à distance, tous les artifices des grands orateurs ; ils ne seraient plus capables de nous entraîner et de nous charmer. De Démosthène, de Cicéron, de Mirabeau il ne reste que des mouvements, des paroles spontanées, des cris de passion comme celui de Démosthène après Chéronée : « Non, Athéniens, vous n’avez pas failli. « Presque tout le reste a passé. C’était d’ailleurs son peu de durée que Platon et Socrate reprochaient déjà au genre oratoire ; par sa nature même, en effet, il renferme quelque chose de passager, de conventionnel et de fragile : il est fait pour la cause du moment.
Ce qui est malheureux, c’est que la part du conventionnel