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Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/137

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l’idéalisme et le réalisme.

leux, des ventricules, était livrée à une sorte de hasard ; ils croyaient naïvement pouvoir corriger la nature, parce que, dans leur ignorance, ils ne se doutaient pas du déterminisme profond qui relie toutes choses, qui fait qu’un simple détail a parfois le prix d’un monde et que, changer la courbe d’une circonvolution cérébrale, c’est modifier toute la direction d’une vie humaine. L’esthétique de la nature n’est pas dans telle ou telle figure particulière, dans tel ou tel dessin particulier, mais dans le rapport de tous les dessins et de toutes les figures des choses, et c’est pour cela que telle correction de détail peut être une déformation monstrueuse à l’égard du tout ; il ne faut pas ressembler à un dessinateur qui voudrait rectifier et simplifier les ramifications sans nombre du cerveau d’un Cuvier, afin de produire un meilleur effet pour l’œil.

Le beau n’a jamais été absolument le simple, mais le complexe simplifié ; il a toujours consisté en quelque formule lumineuse enveloppant sous des termes familiers et profonds des idées ou des images très variées. C’est donc tout à fait par erreur que l’idéalisme des mauvais écrivains classiques a fait consister le beau dans le petit nombre et la pauvreté des idées ou des images, dans la rigidité des lignes, dans la symétrie exagérée, dans l’altération de toutes les courbes et sinuosités de la nature.

« L’idéal, a dit justement Amiel, ne doit pas se mettre tellement au-dessus du réel, qui, lui, a l’incomparable avantage d’exister. » L’artiste et le romancier doivent, comme le moraliste, tenir compte de cette parole. L’idéal ne vaut même, dans l’art, qu’autant qu’il est déjà réel, qu’il devient et se fait : le possible n’est que le réel en travail ; or il n’y a pas d’idéal en dehors du possible. L’idéal, ainsi que l’ajoute Amiel, est la voix qui dit « Non ! » aux choses et aux êtres, comme Méphistophélès : — Non ! tu n’es pas encore achevé, tu n’es pas complet, tu n’es pas parfait, tu n’es pas le dernier terme de ta propre évolution ; — mais, ajouterons-nous, il faut aussi que le réel ne puisse refuser son assentiment à l’idéal même et lui dire : — Non, je ne te connais pas ; non, car tu m’es indifférent, m’étant étranger ; non, car tu es faux. — Il est donc nécessaire que l’idéal et le réel soient pénétrés tous deux l’un par l’autre, et se résolvent au fond dans deux affirmations corrélatives.