frappant, faire jaillir une source fraîche, douce à la vue et aux membres, espoir de tout un peuple : il faut frapper à ce point, et non à cùlé ; il faut sentir le frisson de l’eau vive à travers la pierre dure et ingrate.
Il est plus facile d’être naturaliste en littérature qu’en peinture ou en sculpture, et voici pourquoi. La tâche de l’artiste naturaliste, nous l’avons vu, est de tirer d’objets vulgaires des émotions neuves, fraîches, poétiques, et pour cela de dérouter les associations d’idées habituelles et triviales qu’éveille en nous un objet trivial. Or, les moyens dont dispose l’écrivain sont tels qu’il ne peut pas à proprement parler faire surgir à nos yeux un objet, une chose quelconque ; il ne peut que décrire, et alors il est aisé, tout en restant exact, de faire sortir de l’ombre ce que nous ne voyons habituellement pas, et par contre d’effacer ce que nous sommes habitués à voir. Prenons un exemple : un romancier nous fait assister à une scène très touchante se passant sur le marche-pied d’un omnibus arrêté dans la rue devant une boutique de rôtisseur ou de marchand de vin. Nous savons tout cela, car c’est le milieu même où l’action s’est développée ; le romancier nous l’a dépeint, sans omettre l’oie qui tourne sur sa broche, et pourtant toutes ces choses vulgaires reculent au second plan ; c’est que nous ne les voyons qu’avec les yeux de l’esprit, lesquels sont occupés du héros et de l’héroïne, et toute cette mise en scène triviale n’aura d’autre résultat que de nous persuader que nous assistons à une scène très réelle, parmi les choses que nous voyons chaque jour. Un peintre réaliste, voulant représenter la même scène, nous met la réalité vraie devant la yeux ; il en résulte que ce que nous voyons tout de suite, c’est l’omnibus, c’est l’oie rôtie, et alors, adieu peut-être le touchant ou le pathétique ; l’artiste, n’a pu accentuer tel ou tel côté de la réalité au détriment de l’autre, et nous voilà saisis par les associations d’idées habituelles sans pouvoir nous en dégager. Il faut donc que le peintre ait le talent d’envelopper d’ombre tout ce qui n’est pas l’intérêt de la scène. On ne peut pas à la fois mettre en un tableau la mer et une fourmi courant dans l’herbe : il faut choisir. Ceux qui s’occupent de la fourmi peuvent avoir leurs raisons ; mais qu’ils fassent un tableau exprès pour elle et qu’ils ne raccourcissent pas la mer.