cinq cents ans en arrière derrière fossés et pont-levis, dans la cour d’un vieux château, pour y chanter quelque noir chef[1]. »
IV
DÉPLACEMENT DANS L’ESPACE ET INVENTION DES MILIEUX.
LE SENTIMENT DE LA NATURE ET LE PITTORESQUE.
I. Le second moyen d’échapper au trivial tout en peignant le réel, c’est de déplacer l’imagination dans l’espace, c’est de reporter les événements dans des milieux ou des pays plus ou moins inconnus de nous. Ce procédé est celui qui inspire les descriptions de la nature, depuis les simples campagnes des diverses régions de notre France jusqu’aux pays exotiques. Le résultat est ce qu’on nomme le pittoresque.
La caractéristique des époques dites classiques (surtout au siècle de Louis XIV), c’est qu’on y craignait le trivial encore plus qu’on n’y aimait le réel ; or il faut aimer le réel assez pour le transfigurer et le dégager du trivial. Cet amour de la réalité ne s’est introduit dans la littérature française que par une voie détournée, par le moyen de l’amour de la nature. On a compris la nature avant le naturel, et c’est Rousseau qui nous a fait comprendre la nature.
Le « genre » de La Fontaine, nous l’avons dit, avait paru peu « noble ». Au dix-huitième siècle, Buffon sans doute sentit quelque chose de la nature : par majestati naturæ ; mais la nature n’a pas seulement la majesté et la noblesse, elle a la grâce, et Buffon l’a oublié tout à fait. Il a reposé sa vue « sur l’immensité des êtres paisiblement soumis à des lois nécessaires », il a mesuré les choses et les êtres plutôt qu’il ne les a peints : il saisit bien la forme, le fond lui échappe ; il embrasse, il ne pénètre pas. Qui ne connaît le mot de Mme Necker : « Quand M. de Buffon voulait mettre sa grande robe sur de petits objets, elle faisait des plis partout. » Ces petits objets, c’était précisément l’essentiel dans l’art ; c’était ce qui fait la vie, la tendresse et la force à la fois. On dit que Buffon demandait, en parlant de Montesquieu :
- ↑ Elisabeth Browning, cinquième chapitre d’Aurora Leigh.