en s’enfuyant, je les avais toujours devant les yeux… Et puis, malgré moi, je sentais la fleur de cassie qu’elle m’avait jetée, et qui, sèche, gardait toujours sa bonne odeur. » C’est la dégradation, c’est la faction humiliante comme simple soldat, à la porte du colonel, un jour où précisément Carmen vient danser dans le patio : « Parfois j’apercevais sa tête à travers la grille quand elle sautait avec son tambour. » C’est la journée folle chez Lillas Pastia. Puis les premières infidélités à la discipline et enfin la série de dégradations et de glissements par lesquelles il arrive jusqu’au brigandage. Toute cette première partie est dominée par une scène très simple, impossible à rendre au théâtre : nous voulons parler de cette soirée où les contrebandiers poursuivis, après avoir achevé eux-mêmes un des leurs, s’arrêtent dans un hallier épuisés de faim et de fatigue ; quelques-uns d’entre eux, tirant un paquet de cartes, jouent à la lueur d’un feu qu’ils allument. « Pendant ce temps-là, moi, j’étais couché, regardant les étoiles, pensant au Remendado (l’homme massacré) et me disant que j’aimerais autant être à sa place. Carmen était accroupie près de moi, et de temps en temps elle faisait un roulement de castagnettes en chantonnant. Puis, s’approchant comme pour me parier à l’oreille, elle m’embrassa, presque malgré moi, deux ou trois fois. « — Tu es le diable, lui disaisje. — Oui, me répondait-elle. » Le meurtre de Garcia le borgne, le rom de Carmen, marque un nouveau moment dans le petit drame. On peut croire d’abord que l’introduction du personnage de Garcia rompt l’unité de l’œuvre et que sa mort est un épisode inutile. Au contraire, Carmen ne serait pas complète sans son mari, et le combat contre le borgne est le premier acheminement au meurtre de Carmen. Garcia tué, l’état moral du meurtrier est peint en un mot, indirectement : « Nous l’enterrâmes, et nous allâmes placer notre camp deux cents pas plus loin. » Passons sur les autres petits incidents déterminés par la vie de contrebandier, laquelle a été déterminée elle-même par l’amour exclusif pour la bohémienne ; nous arrivons au dénouement, qui est admirable parce qu’il est contenu à l’avance dans tous les événements qui précèdent comme une conséquence dans ses prémisses : — « Je suis las de tuer tous tes amants ; c’est toi que je tuerai. — Elle me regarda fixement de son regard sauvage et me dit : — J’ai toujours pensé
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