but même. C’est avec Balzac, selon nous, que le roman devient sociologique. Il y a d’ailleurs longtemps qu’on a remarqué ce caractère de l’œuvre de Balzac[1]. Il est clair aussi que Balzac est, avec Stendhal, l’ancêtre du réalisme contemporain. Il a le souci de la vérité psychologique et sociale, et il la cherche dans le laid comme dans le beau, plus souvent dans le laid que dans le beau. Son but est d’exprimer la vie telle qu’elle est, la société telle qu’elle est ; comme les réalistes, il accumule le détail et la description, il tombe même dans le technique. Mais son procédé de composition est encore une abstraction et une généralisation. De plus, Balzac est logicien avant tout : ses caractères sont des théorèmes vivants, des types qui développent tout ce qu’ils renferment. Il a un procédé de simplification puissante qui consiste à ramasser tout un homme dans une seule et unique passion : le père Grandet n’est plus qu’avare, le père Goriot n’est plus qu’idolâtre de ses filles, et ainsi de suite. On a dit avec beaucoup de justesse que, par là, Balzac n’est pas vraiment réaliste ; il est classique comme les poètes dramatiques du dix-septième siècle, avec cette différence qu’il l’est beaucoup plus, et que, « simplificateur extrême, il n’aurait pas même admis la clémence d’Auguste, ni les hésitations de Néron, ni fait Harpagon amoureux ; il conçoit tous ses personnages sur le modèle du jeune Horace, de Narcisse ou de Tartufe ». Le réalisme vrai consiste, au contraire, à ne jamais admettre qu’un homme soit une passion unique incarnée dans des organes, mais un jeu et souvent un conflit de passions diverses, qu’il faut prendre chacune avec sa valeur relative[2].
Le naturalisme contemporain procède non seulement de Balzac, mais du romantisme de Hugo, par « réaction » et par
- ↑ Hugo disait sur sa tombe : « Tous ses livres ne forment qu’un livre, livre vivant, lumineux, profond, où l’on voit aller et venir, et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d’effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine ; livre merveilleux que le poète a intitulé « comédie » et qu’il aurait pu intituler « histoire », qui prend toutes les formes et tous les styles, qui dépasse Tacite et qui va jusqu’à Suétone, qui traverse Beaumarchais et qui va jusqu’à Rabelais ; livre qui est l’observation et qui est l’imagination ; qui prodigue le vrai, l’intime, le bourgeois, le trivial, le matériel, et qui par moments, à travers toutes les réalités brusquement et largement déchirées, laisse tout à coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idéal. (Littérature et philosophie mêlées, discours prononcé aux funérailles de Balzac, vol. II, p. 318.)
- ↑ M. Faguet, Études littéraires sur le dix-neuvième siècle.