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Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/238

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l’art au point de vue sociologique.

Le Christ lui-même, le plus doux et le plus aimant des génies, ne fut-il pas abandonné de son père ? Alfred de Vigny voit en lui le symbole de l’humanité entière abandonnée de son Dieu. Dieu est muet ; il est pour nous l’éternel silence et l’éternelle absence ; répondons-lui par le même silence, marque de notre dédain.


.................
Ainsi le divin Fils parlait au divin Père.
Il se prosterne encore, il attend, il espère,
Mais il remonte et dit : « Que votre volonté
Soit faite, et non la mienne, et pour l’éternité. »
— Une terreur profonde, une angoisse infinie
Redoublent sa torture et sa lente agonie ;
Il regarde longtemps, longtemps cherche sans voir.
Comme un marbre de deuil tout le ciel était noir ;
La terre sans clartés, sans astre et sans aurore,
Et sans clartés de l’âme, ainsi qu’elle est encore, —
Frémissait. Dans le bois il entendit des pas,
Et puis il vit rôder la torche de Judas.

S’il est vrai qu’au jardin des saintes Écritures
Le fils de l’homme ait dit ce qu’on voit rapporté.
Muet, aveugle et sourd aux cris des créatures,
Si le ciel nous laissa comme un monde avorté,
Le juste opposera le dédain à l’absence,
Et ne répondra plus que par un froid silence
Au silence éternel de la Divinité.


Lamartine, lui, était de ceux qui croient voir Dieu dans la nature, cœli enarrant gloriam dei. Selon Vigny comme selon Pascal, la nature cache Dieu ; au lieu d’avoir cet aspect consolateur que Lamartine lui prête, elle est triste. Avec le progrès de la pensée réfléchie, sous le regard scrutateur de la science, nous avons vu reculer une à une au rang des apparences les réalités d’autrefois. Et de toutes les croyances naïves, de tous les beaux rêves puérils de l’humanité, nul ne redescendra du fond de l’infini bleu, grand ouvert sur nos têtes, et dont la profondeur est faite de soUtude.

C’est à l’amour, selon Vigny, et non à la nature qu’il faut demander quelque adoucissement de nos maux :


Sur mon cœur déchiré viens poser ta main pure,
Ne me laisse jamais seul avec la nature,
Car je la connais trop pour n’en pas avoir peur.
Elle me dit : · · · · · · · · · · · ·
« Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre,