Aller au contenu

Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193
les idées philosophiques et sociales dans la poésie.


I. — L’inconnaissable.


Victor Hugo a eu, comme notre société moderne, — j’entends la société pensante, — le sentiment de ce qu’on appelle aujourd’hui l’inconnaissable. ï’onr lui, l’intelligence trouve à la fois son « éclipse » et sa « preuve » dans le mystère éternel, qu’elle ne peut pénétrer et que cependant elle conçoit.


Le savant dit : Comment ? Le penseur dit : Pourquoi ?
              Passe ta vie
      À labourer l’écume et l’onde[1].


Nous avons un devoir : « Défendre le mystère contre le miracle, adorer l’incompréhensible, et rejeter l’absurde[2]. » C’est donc le mystère universel que Victor Hugo veut représenter sous toutes ses formes, dans l’infiniment petit et dans l’infiniment grand, dans le ciel lumineux et dans le ciel obscur, dans le jour et dans la nuit. Il a senti « l’horreur profonde des choses, »


L’horreur constellée et sereine !

         L’insondable
      Au mur d’airain...

L’obscurité formidable
      Du ciel serein.


Le ciel, dit-il, « est profond comme la mort. »


Tout se creuse sitôt que tu tâches de voir ;
Le ciel est le puits clair, la mort est le puits noir,
Mais la clarté de l’un, même aux yeux de l’apôtre,
N’a pas moins de terreur que la noirceur de l’autre (3).


Ailleurs, Hugo compare encore le mystère du monde au mystère du ciel : « D’innombrables piqûres de lumière ne font que rendre plus noire l’obscurité sans fond. » Les scintillations des astres permettent seulement de constater la présence de quelque chose d’inaccessible « dans l’Ignoré[3].

  1. Religions et religion.
  2. Les Misérables.
  3. L’Âne.