L’homme, parfois, voudrait faire intervenir directement l’éternelle justice au milieu de nos injustices ; il oublie que c’est à nous, à nous seuls, de réaliser le juste par nos propres forces :
Certes, je suis courbé sous l’infini profond :
Mais le ciel ne fait pas ce que les hommes font ;
Chacun a son devoir et chacun a sa tâche ;
Je sais aussi cela. Quand le destin est lâche,
C’est à nous de lui faire obstacle rudement,
Sans aller déranger l’éclair du firmament[1].
La continuelle présence morale de Dieu à l’âme est exprimée dans les Misérables par une grande image. Jean Valjean fuit dans la nuit devant les policiers ; il donne la main à la petite Cosette : « Il lui semblait qu’il tenait, lui aussi, quelqu’un de plus grand que lui par la main : il croyait sentir un être qui le menait, invisible. » Dans une autre page, il s’agit de la lutte de Jean Valjean contre lui-même lorsqu’il ne sait encore s’il ira ou non se livrer à la justice : « Il se parlait ainsi dans les profondeurs de sa conscience, penché sur ce qu’on pourrait appeler son propre abîme… On n’empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage… Dieu soulève l’âme comme l’Océan. »
Enfin tout le monde a présente à l’esprit la pièce célèbre sur l’œil de Dieu dans la conscience :
On fit donc une fosse, et Caïn dit : « C’est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre ;
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.
Mais si Dieu est, par rapport à nous, la justice, c’est qu’il est en lui-même l’amour. Il n’est pas seulement, selon Hugo, une « âme du monde », un principe de vie animant un grand corps ; il est le cœur du monde :
Oh ! l’essence de Dieu, c’est d’aimer. L’homme croit
Que Dieu n’est comme lui qu’une âme, et qu’il s’isole
De l’univers, poussière immense qui s’envole ;
.................
Je le sais, Dieu n’est pas une âme, c’est un cœur.
- ↑ L’Année terrible, p. 70.