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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.

Qui, liée à tes pas comme un spectre vivant,
"Va tantôt en arrière et tantôt en avant ;
Qui se mêle à la nuit, sa grande sœur funeste,
Et qui contre le jour, noire et dure, proteste,
D’où vient-elle ? De toi, de ta chair, du limon
Dont l’esprit se revêt en devenant démon ;
De ce corps qui, créé par la faute première,
Ayant rejeté Dieu, résiste à la lumière ;
De la matière, hélas ! de ton iniquité.
Cette ombre dit : « Je suis l’être d’infirmité ;
Je suis tombé déjà ; je puis tomber encore. »
L’ange laisse passer à travers lui l’aurore ;
Nul simulacre obscur ne suit l’être normal :
Homme, tout ce qui fait de l’ombre a fait le mal.


La peinture qui suit est un nouveau mélange d’idées et de symboles orientaux :


                                          Et d’abord, sache
Que le moude où tu vis est un monde effrayant
Devant qui le songeur, sous l’infini ployant,
Lève les bras au ciel et recule terrible.
Ton soleil est lugubre et ta terre est horrible.
Vous habitez le seuil du monde châtiment.
Mais vous n’êtes pas hors de Dieu complètement ;
Dieu, soleil dans l’azur, dans la cendre étincelle.
N’est hors de rien, étant la fin vniverselle.


On remarquera cette conception aristotélique de Dieu présent à tout comme fin plutôt encore que comme cause.


L’éclair est son regard, autant que le rayon ;
Et tout, même le mal, est la création,
Car le dedans du masque est encor la figure.
.................
À la fatalité, loi du monstre captif,
Succède le devoir, fatalité de l’homme.
Ainsi de toutes parts l’épreuve se consomme,
Dans le monstre passif, dans l’homme intelligent,
La nécessité morne en devoir se changeant.
Et même remontant à sa beauté première,
Va de l’ombre fatale à la libre lumière.


La suite exprime la plus haute idée de la sanction que l’on se soit faite, celle des Indiens, qui croient que l’être monte ou descend sur l’échelle universelle par son propre poids, que la vertu ou le vice renferment ainsi eux-mêmes leur récompense ou leur châtiment :


L’être créé se meut dans la lumière immense.
Libre, il sait où le bien cesse, où le mal commence ;