« il voyait, des gens du pays très occupes à arracher des orties ; il regarda ce tas de plantes déracinées et dijà desséchées, et dit : — C’est mort. Cela serait pourtant bon si l’on savait s’en servir. Quand l’ortie est jeune, la feuille est un légume excellent ; quand elle vieillit, elh ; a des lilaments et des libres comme le chanvre et le lin. La toile d’ortie vaut la toile de chanvre... C’est du reste un excellent foin qu’on peut faucher deux fois. Et que faut-il à l’ortie ? Peu de terre, nul soin, nulle culture… Avec quelque peine qu’on prendrait, l’ortie serait utile ; on la néglige, elle devient nuisible. Alors on la tue. Que d’hommes ressemblent à l’ortie ! — il ajouta après un silence : Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs [1]. »
Malgré son esprit chimérique, Hugo a sur l’histoire quelques vues justes : « Les historiens qui n’écrivent que {tour briller, dit-il, veulent voir partout des crimes et du génie ; il leur faut des géants, mais leurs géants sont comme les girafes, grands par devant et petits par derrière. En général, c’est une occupation amusante de rechercher les véritables causes des événements ; on est tout étonné en voyant la source du fleuve ; je me souviens encore de la joie que j’éprouvai, dans mon enfance, en enjambant le Rhône… — Ce qui me dégoûte, disait une femme, c’est que ce que je vois sera un jour de l’histoire. — Eh ! bien, ce qui dégoûtait cette femme est aujourd’hui de l’histoire, et cette histoire-là en vaut bien une autre. Qu’en conclure ? Que les objets grandissent dans les imaginations des hommes comme les rochers dans les brouillards, à mesure qu’ils s’éloignent [2]. »
Napoléon d’une part, la Révolution de l’autre, étaient deux types épiques^, l’un individuel, l’autre collectif, qui devaient s’imposer naturellement à l’imagination d’un poète, mais ces deux types grandirent dans son cerveau, à mesure que son génie même grandissait ; et cette sorte de croissance invincible a fini par produire des images gigantesques et déformées, en dehors de toute réalité. Voyez, par exemple, le cri de Vive l’Empereur poussé dans les Misérables à la face du ciel étoile, et certaines pages de Quatre-vingt-treize sur la Ré-