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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.

On a comparé Hugo à une force de la nature, en raison de sa puissance d’imagination ; mais c’était plutôt encore une force de l’humanité. S’il avait pu avoir, sans préjudice pour son imagination même, une plus complète éducation scientifique et plus de raison politique, il eût réalisé le type de la plus haute poésie : celle où toutes les idées métaphysiques, religieuses, morales et sociales, prennent vie et se meuvent sous les yeux, parlent tout ensemble à l’oreille et au cœur. La mission sociale de la poésie est à ce prix. Les qualités et les défauts de Victor Hugo en sont, selon nous, une démonstration éclatante. Sans chercher un but extérieur à elle, sans prétendre à l’utilité proprement dite, la grande poésie ne saurait pourtant être indifférente au fond des idées et des sentiments, elle ne saurait être une forme pure : elle doit être l’indivisible union du fond et de la forme dans une beauté qui est en même temps vérité. Quand elle y atteint, elle a atteint par cela même sa mission morale et sociale : elle est devenue une des plus hautes manifestations de la sociabilité dans le monde spirituel et une des principales forces qui assurent le progrès humain. Le vrai poète, a dit Ronsard, doit être « épris d’avenir ». Il est des génies qui nous arrêtent au passage, parce qu’ils résument les lemps, parce qu’ils ont même des paroles d’éternité : Ad quem ibimus ? disait Jean à Jésus, verba vitæ æternæ habes.