Le vrai coupable est Celui qui a troublé le repos du néant pour en tirer le monde ; c’est cet Esprit flottant sur le chaos informe qui y a soufflé la vie et la forme :
Emporté sur les eaux de la Nuit primitive,
Au muet tourbillon d’un vain rêve pareil,
Ai-je affermi l’abîme, allumé le soleil.
Et pour penser : Je suis ! pour que la fange vive,
Ai-je troublé la paix de l’éternel sommeil ?
Ai-je dit à l’argile inerte : Souffre et pleure !
Auprès de la défense ai-je mis le désir,
L’ardent attrait d’un bien impossible à saisir,
Et le songe immortel dans le néant de l’heure ?
Ai-je dit de vouloir et puni d’obéir ?
Du fond de cette argile animée, livrée en proie à tous les instincts de la brute et, comme la brute, souillée de sang, une force surgira, pourtant, capable d’opposer à l’immorale Nature l’idée du juste et du vrai : la science. Et ce sera la science qui vengera l’homme contre Dieu, en anéantissant Dieu même :
Et les petits enfants des nations vengées,
Ne sachant plus ton nom, riront dans leurs berceaux !
J’effondrerai des cieux la voûte dérisoire.
Par delà l’épaisseur de ce sépulcre bas
Sur qui gronde le bruit sinistre de ton pas,
Je ferai bouillonner les mondes dans leur gloire ;
Et qui t’y cherchera ne t’y trouvera pas.
Et ce sera mon jour ! Et, d’étoile en étoile,
Le bienheureux Éden longuement regretté
Verra renaître Abel sur mon cœur abrité ;
Et toi, mort et cousu sous la funèbre toile,
Tu t’anéantiras dans ta stérilité.
La grande société vivante et souffrante n’embrasse pas seulement l’humanité, mais aussi les animaux, dont Leconte de Lisle s’est plu à peindre les vagues pensées, la conscience obscure et les rêves, comme pour y mieux saisir, dans ses premières manifestations, le sens de la vie universelle. Le condor, après avoir attendu la venue de la nuit du haut d’un pic des Cordillères,
Baigné d’une lueur qui saigne sur la neige,