Il s’évertuerait à chercher un mot, comme passager, pour rimer avec voyager. Embarrassé par la consonne d’appui ;, il ne pourrait plus écrire :
Quand la perdrix
Voit ses petits
En danger et n’ayant qu’une plume nonvelle
Qui ne peut fuir eucor par les airs le trépas,
Elle fait la blessée, et va traînant de l’aile,
Attirant le chasseur et le chien sur ses pas.
Détourne le danger, sauve ainsi sa famille ;
Et puis, quand le chasseur croit que son chien la pille,
Elle lui dit adieu, prend sa volée, et rit
De l’homme qui, confus, des yeux en vain la suit.
Et pourtant quel est le lecteur qui, en lisant ces vers, surtout les deux derniers, n’en sentira pas l’harmonie ? De même, dans Musset, quand on lit les vers célèbres :
Ô Christ, je ne suis pas de ceux que la prière
Dans tes temples muets amène à pas tremblants ;
Je ne suis pas de ceux qui vont à ton calvaire.
En se frappant le sein baiser tes pieds sanglants,
fait-on attention à l’absence des consonnes d’appui dans
prière et calvaire ? Hugo, lui, eût probablement cherché ici
deux rimes riches, coûte que coûte, et le résultat eût été de ne
plus faire sentir aussi bien la richesse des deux belles rimes
masculines, qui viennent à l’endroit où elles étaient vraiment
nécessaires : pas tremblants et pieds sanglants. Le mot tremblants,
avec ses syllabes prolongées, nous transporte dans
les « temples muets » où le moindre son retentit, et le mot
sanglants, qui fait écho plus loin, a un retentissement douloureux.
Tourmentez ces quatre vers pour enrichir les deux
rimes féminines, et l’harmonie de l’ensemble aura disparu.
Comparons deux passages tout à fait similaires de Musset et de Leconte de Lisle ; ce sont les mêmes idées avec des rimes différentes et surtout un rythme différent.
Eh bien ! qu’il soit permis d’en baiser la poussière
Au moins crédule enfant de ce siècle sans foi,
Et de pleurer, ô Christ, sur cette froide terre
Qui vivait de ta mort et qui mourra sans toi !