II. — Notre prose devient, et avec raison, de plus en plus rythmée. Elle l’était déjà admirablement chez les grands prosateurs du dix-septième siècle. La comparaison du texte authentique des Pensées de Pascal avec l’édition « corrigée » par Port-Royal pourrait nous fournir quantité d’exemples du langage et de la pensée rythmés, de la différence entre le style ai une langue sans harmonie. Voici, par exemple, comment Port-Royal avait arrangé la belle phrase sur Archimède ;
« Il n’a pas donné des batailles, — mais il a laissé à tout l’univers des inventions admirables. — Oh ! qu’il est grand et éclatant aux yeux de l’esprit. »
Pascal, lui, avait écrit :
Il n’a pas donné des batailles pour les yeux.
Mais il a fourni à tous les esprits ses inventions.
Oh ! qu’il a éclaté aux esprits !
Ici le style se rythme au point de former presque une strophe ; l’idée, à chaque membre de phrase, se précise, se dégage et, elle aussi ; « éclate à l’esprit ». Les moyens employés sont : 1o la suppression de tout ce qui est inutile et banal : « à tout l’univers, admirable, grand et éclatant, les yeux de l’esprit, etc. » ; — 2o une antithèse — non pas artificielle, mais tirée du fond même de l’idée — entre les deux premiers membres de la phrase, qui s’opposent mot pour mot : les yeux et les esprits, les batailles données pour la vanité ou pour les yeux et les inventions sérieuses comme la vérité même ; 3o la chute de la dernière phrase, dont la brièveté et la simplicité fait mieux ressortir la force de l’image. Alors en effet le petit nombre de mots économise l’attention ; de plus, la voix tombe et se pose plus vite qu’on ne s’y attendait : il s’ensuit un silence imprévu, qui, en surprenant l’oreille, ranime l’attention et la fixe sur l’idée qu’on vient d’exprimer. Cette idée, si elle a de la valeur, grandit aussitôt dans l’esprit ; si elle n’en avait pas, on éprouverait une sorte de désappointement. Encore une autre phrase retouchée ainsi par Port-Royal : « Qui se considérera de la sorte s’effraiera sans doute de se voir comme suspendu dans la masse que la