représente l’immobilité, mais donne plutôt à un mouvement qui changeait avec l’instant, à une vie fuyante et fragile la durée et l’inaltérabilité des choses éternelles. Prose ou vers, après tout, qu’importe ? Il n’est pas nécessaire que chaque souffle de vent agite le même nombre de feuilles pour que son bruissement soit harmonieux, ni que chaque flot de la mer roule au rivage un même nombre de galets et produise un bruit toujours égal. Il y a de l’inattendu et des heurts dans l’harmonie de la nature, et il y en a aussi dans toute émotion humaine. Cette forme-là est bonne qui s’est trouvée la plus sonore aux battements du cœur. Le temps n’est plus au privilège, et le langage des vers est celui d’une trop restreinte aristocratie pour demeurer uniquement en honneur dans un siècle où il faut compter avec les masses ; la prose, parlée de tous, plus généreuse et accueillante, permet à toute pensée, quelle que soit sa nature, de se faire jour. La poésie est un bien commun au même titre que la logique ou la clarté : il est donc juste qu’elle puisse trouver son expression, et son expression entière, dans le langage commun à tous. Assurément il y aura toujours des choses que les vers sauront mieux rendre, mais il demeure incontestable que la prose, dont l’unique mesure est la pensée même et l’émotion, répond bien à la complexité croissante des connaissances et des idées. Il n’est pas vrai de dire avec Carlyle : « La forme métrique est un anachronisme, le vers est une chose du passé ; » non, le vers subsistera, parce qu’il est im organisme défini et merveilleusement propre à l’expression sympathique des sentiments ou des idées :
Le vers s’envole au ciel tout naturellement,
Il monte ; il est le vers, je ne sais quoi de frêle
Et d’éternel, qui chante et pleure et bat de l’aile.
Ce qui est vrai, c’est que la prose tend, comme nous venons de le montrer, à s’organiser d’une manière à la fois plus savante et plus libre, mais en conservant ce qui a toujours fait le fond commun de la poésie et de la prose, à savoir l’image et le rythme, l’une s’adrcssant aux yeux, l’autre aux oreilles, tous deux cherchant à atteindre le cœur. On