II
LA LITTÉRATURE DES DÉCADENTS
I. — C’est une loi sociologique que, plus nous avançons, plus la vie sociale devient intense et plus son évolution est rapide. Or, la rapidité de toute évolution entraîne aussi celle de la dissolution : ce qui est aujourd’hui en plénitude de vie sera bientôt en décadence. De nos jours, on ne peut plus compter par siècles ; vingt ans, dix ans sont déjà le « grande mortalis ævi spatium ». La littérature change avec chaque quart de siècle. D’autre part, comme la vie sociale devient de plus en plus complexe, comme les idées et les sentiments sont plus nombreux et plus divers, nous assistons, en un même quart de siècle, à des rénovations sur un point, à des décadences sur un autre, à des aurores et à des crépuscules, sans pouvoir dire, bien souvent, si le jour vient ou s’il s’en va. L’essentiel, c’est qu’une société produise des génies ; ils pourront paraître décadents sur certains points, ils seront des rénovateurs sur d’autres. Du temps de Flaubert, on a crié : décadence. Aujourd’hui, on demande avec regret où sont les Flaubert. La théorie de la décadence doit donc s’appliquer à des groupes d’écrivains, à des fragments de siècle, à des séries d’années maigres et stériles : toute généralisation est ici impossible.
Y a-t-il, par exemple, décadence du « siècle » présent par rapport au passé ? Voilà un problème bien délicat pour nous, qui vivons justement dans le présent et qui le voyons de trop près pour le bien juger. Considérons pourtant la poésie française, pour prendre un exemple restreint. Certes, il n’y a pas eu décadence du dix-huitième siècle au dix-neuvième. Quant au dix-septième siècle, la principale supériorité qu’il semble posséder en fait de poésie, c’est d’avoir vu naître le théâtre classique ; mais, d’autre part, notre siècle a vu se produire un fait qui n’aura peut-être pas un jour moins d’importance dans