II
RÔLE MORAL ET SOCIAL DE L’ART
On s’est souvent demandé si la littérature et l’art étaient moraux ou immoraux. La question pourrait être examinée d’un nouveau point de vue : il s’agirait de savoir dans quelle mesure et avec quelle gradation il est bon d’étendre cette qualité qui fait le fond de la littérature et de l’art : la sociabilité. Il y a, en effet, une certaine antinomie entre l’élargissement trop rapide de la sociabilité et le maintien en leur pureté de tous les instincts sociaux. D’abord, une société plus nombreuse est aussi moins choisie. De plus, l’accroissement de la sociabilité est parallèle à l’accroissement de l’activité ; or, plus on agit et voit agir, plus aussi on voit s’ouvrir des voies divergentes pour l’action, lesquelles sont loin d’être toujours des voies « droites ». C’est ainsi que, peu à peu, en élargissant sans cesse ses relations, l’art en est venu à nous mettre en société avec tels et tels héros de Zola. La cité aristocratique de l’art, au dix-huitième siècle, admettait à peine dans son sein les animaux ; elle en excluait presque la nature, les montagnes, la mer. On se rappelle le jugement sommaire porté par Vauvenargues et, avec lui, par tout le dix-huitième siècle sur La Fontaine, ce représentant unique, au siècle précédent, de la vie animale, de la nature et presque du naturel : « Il n’a écrit ni dans un genre assez noble ni assez noblement. « L’art, de nos jours, est devenu de plus en plus démocratique, et il a fini même par préférer la société des vicieux à celle des honnêtes gens. En outre, l’art met de plus en plus en jeu la passion ; or, il y a encore là plus d’un écueil. L’excitation artificielle d’une passion déterminée ou d’un groupe déterminé de passions, tout en étant, comme disait Aristotc, une sorte de purgation et de purification esthétique, ϰάθαρσις, peut aussi produire une tendance vers telle passion, un accroissement de cette passion même, qui, du germe, passera au développement. De là résulte