quelle solidarité existe entre toutes les parties de notre être. Le sentiment du beau n’est que la forme supérieure du sentiment de la solidarité et de l’unité dans l’harmonie ; il est la conscience d’une société dans notre vie individuelle.
Dans le sentiment du beau, le sujet sentant a donc une part non moins importante que l’objet senti. Aussi nous croyons qu’on ne peut trouver de plaisir très complexe et très conscient, par conséquent renfermant une variété unifiée, qui ne soit plus ou moins esthétique. Une sensation ou un sentiment simple ne saurait guère être esthétique, tandis qu’il est peu de sentiments et de sensations, quelle que soit leur humble origine, qui ne puissent prendre un sens esthétique en se combinant harmonieusement l’un avec l’autre dans la conscience, alors même que chacun pris à part est étranger au domaine de l’art. Voici un pot de fleurs vide sur une fenêtre : il n’a rien de beau. Vous respirez, en marchant, un parfum de réséda, et vous n’éprouvez guère qu’une sensation agréable. Repassez près de la fenêtre : le pot de fleurs renferme maintenant une plante, un modeste réséda dont l’odeur vous arrive. La plante vit, et son parfum est comme un signe de sa vie ; le pot de fleurs lui-même semble participer à cette vie et s’est embelli en s’embaumant.
On peut presque à volonté faire passer tour à tour une même sensation du domaine du simple plaisir dans le domaine du plaisir esthétique, ou de celui-ci dans celui-là. Si, par exemple, vous entendez de la musique sans l’écouter, en pensant à autre chose, ce ne sera guère pour vous qu’un bruit plus ou moins agréable, quelque chose comme un parfum respiré sans y penser ; écoutez, le bruit agréable deviendra esthétique, parce qu’il éveillera des échos dans votre conscience entière ; soyez distrait de nouveau, et la sensation, s’isolant, se fermant, redeviendra simplement agréable. De même, en face de certains paysages que l’œil contemple avec un sentiment banal d’aise et de facilité, il faut un réveil de la conscience et de la volonté pour faire naître le véritable sentiment esthétique. L’admiration est, dans une certaine mesure, une œuvre de volonté.
On le voit, le beau est un agréable plus complexe et plus conscient, plus intellectuel et plus volontaire ; le sentiment du beau, c’est la jouissance immédiate d’une vie plus intense