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Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/76

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l’art au point de vue sociologique.

théologiens, est le règne de la loi ; le beau est ou le règne de la nature, ou le règne de la grâce, car la nature, c’est la solidarité imparfaite, mais déjà réelle ; la grâce, c’est la solidarité parfaite et réelle, soit entre les diverses parties d’un même être, soit entre les divers êtres : tous en un, un en, tous. Aussi les plaisirs qui n’ont rien d’impersonnel n’ont-ils rien de durable ni de beau : le plaisir qui aurait, au contraire, un caractère tout à fait universel, serait éternel ; et étant l’amour, il serait la grâce. C’est dans la négation de l’égoïsme, négation compatible avec la vie même, que l’esthétique, comme la morale, doit chercher ce qui ne périra pas.


III

l’émotion artistique et son caractère social


Nous avons vu que l’émotion esthétique, causée par la beauté, se ramène en nous à une stimulation générale et, pour ainsi dire, collective de la vie sous toutes ses formes conscientes (sensibilité, intelligence, volonté) ; maintenant, de quelle manière définirons-nous l’émotion artistique, celle que cause l’art ?

L’art est un ensemble méthodique de moyens pour produire cette stimulation générale et harmonieuse de la vie consciente qui constitue le sentiment du beau. L’art peut, pour cela, se servir seulement des sensations, qu’il gradue d’une manière plus ou moins ingénieuse, des saveurs, des odeurs, des couleurs. Tels sont les arts tout à fait élémentaires dont parle Platon dans le Gorgias, comme la parfumerie et aussi la polychromie. Ces arts ne cherchent pas à créer la vie ou à paraître la créer, ils se bornent à prendre des produits tout faits de la nature, qu’ils ne modifient que très superficiellement et sans les soumettre à une réorganisation profonde. Ce sont pour ainsi dire des arts inorganiques, aussi peu expressifs de la vie qu’il est possible. N’oublions pas d’ailleurs que, pour être absolument inexpressive, une sensation devrait être isolée, détachée dans l’esprit ; il n’en est pas une de ce genre, et la cuisine même peut acquérir par association quelque valeur représentative : une salade appétissante est un petit coin de jardin sur la table et comme un résumé