qui se combinent dans la nature ne sont que des cas des mariages innombrables entre les éléments des choses, ainsi, pour le vrai poète, tel caractère qu’il saisit sur le vif, tel individu qu’il observe n’est pas un but, mais un moyen, — un moyen de deviner les combinaisons indéfinies que peut tenter la nature. Le génie s’occupe des possibilités encore plus que des réalités ; il est à l’étroit dans le monde réel comme le serait un être qui, ayant vécu jusqu’alors dans un espace à quatre dimensions, serait jeté dans notre espace à trois dimensions. Aussi le génie cherche-t-il sans cesse à dépasser la réalité, et nous ne nous en plaignons pas : l’idéalisme alors, loin d’être un mal, est plutôt la condition même du génie ; seulement, il faut que l’idéal conçu, même s’il n’appartient pas au réel coudoyé chaque jour par nous, ne sorte pas de la série des possibles que nous entrevoyons : tout est là. On reconnaît le vrai génie à ce qu’il est assez large pour vivre au delà du réel, et assez logique pour ne jamais errer à côté du possible.
Qu’est-ce, d’ailleurs, qui sépare le possible de l’impossible ? Nul ne peut le dire avec certitude dans le domaine de l’art. Nul ne connaît les limites de la puissance d’action inhérente à la nature et de la puissance de représentation inhérente à l’artiste. On ne peut jamais prévoir si un enfant naîtra viable, et de même si le cerveau d’un poète ou d’un romancier produira un type viable, un être d’art capable de subsister par lui-même. On peut définir la poésie la fantaisie la plus haute dans les limites non du bon sens terre à terre, mais du sens droit et de l’analogie universelle.
La première caractéristique du génie est donc la puissance de l’imagination. Le poète créateur est proprement un voyant, qui voit comme réel le possible, parfois même l’invraisemblable. « Les mystérieuses rencontres avec l’invraisemblable, que, pour nous tirer d’affaire, nous appelons hallucinations, sont dans la nature. Illusions ou réalités, des visions passent ; qui se trouve là, les voit[1]. » Aussi, pour le poète, rien de purement subjectif : le monde de l’imagination est, à sa façon, un monde réel ; le monde intérieur n’est-il pas un prolon-
- ↑ Hugo, les Travailleurs de la mer.