L’application faite par M. Taine de sa théorie sociologique et les lois générales qu’il pose sont insuffisantes : elles ne constituent qu’une partie de la vérité. L’influence des milieux est incontestable, mais elle est le plus souvent impossible à déterminer, et ce que nous en savons ne permet de conclure le plus souvent, ni de l’œuvre d’art à la société, ni de la société à l’œuvre d’art. D’abord, en ce qui concerne l’influence de la race, qui est d’ailleurs certaine, on sait que nulle race n’est pure. C’est un fait démontré par l’anthropologie[1]. De plus, nous ne connaissons pas scientifiquement les caractères intellectuels et physiques des races mélangées. Chez un même peuple, d’une contrée à l’autre, l’esprit change notablement, et, malgré cela, cet esprit particulier à une contrée n’est pas toujours reconnaissable. On a demandé avec raison qui, de Corneille ou de Flaubert, est le Normand, et quel rapport il y a entre les deux. ; de Chateaubriand ou de Renan, qui est le Breton. Gœthe et Beethoven sont deux Allemands du sud. Nous ne pouvons déterminer jusqu’à quel point et en quelle mesure le caractère de la race persiste chez les individus, en particulier chez les artistes. Quant à l’hérédité dans les familles, elle est incontestable, mais souvent encore insaisissable[2].
L’influence du milieu physique et de l’habitat est un second élément important pour la sociologie esthétique. La Judée et ses aspects se retrouvent d’une manière générale dans les poètes bibliques et dans leur forme d’imagination ; la nature orientale se peint dans l’exubérance littéraire des Hindous, la Grèce aux lignes précises dans la poésie grecque. Mais pourquoi les Italiotes de la Grande Grèce n’ont-ils pas eu la littérature athénienne, malgré la ressemblance des deux
- ↑ M. Spencer, dans sa Sociologie descriptive, retrouve, par exemple, dans la race anglaise les Bretons, comprenant deux types ethnologiques différenciés par la chevelure et la forme du crâne ; des colons romains en nombre inconnu, des peuplades d’Angles, de Jutes, de Saxons, de Kymris, de Danois, de Morses, des Scots et des Pictes ; enfin des Normands, qui, eux-mêmes, d’après Augustin Thierry, comprenaient des éléments ethniques pris dans tout l’est de la France.
- ↑ Voir M. Ribot, Hérédité : « Les caractères individuels sont-ils héréditaires ? Les faits nous ont montré qu’au physique et au moral ils le sont souvent. » D’après M. de Quatrefages, quoiqu’elle soit forcément et constamment troublée, l’hérédité, si l’on embrasse tous les phénomènes qui marquent chez les individus une tendance à obéir à la loi mathématique, finit « par réaliser dans l’ensemble de chaque espèce le résultat qu’elle ne peut réaliser chez les individus isolés ». Les anthropologistes ne considèrent même pas comme fixe l’hérédité des caractères de sous-race, de clan, de tribu, et à plus forte raison de peuple, de nation.