n’aura d’effet esthétique que sur les personnes qui se trouvent posséder une organisation mentale analogue et inférieure à celle qui a servi à créer l’œuvre, et qui peut en être déduite. » Personne, par exemple, n’admet une description si cette description ne lui paraît pas correspondre à la vérité, mais cette vérité est variable, elle est une idée ; elle ne résulte pas de l’expérience exacte, mais de la conception froide ou passionnée, vraie ou illusoire, que l’on se fait des choses et des gens[1]. D’une part, donc, l’œuvre d’art est l’expression plus ou moins fidèle des facultés, de l’idéal, de l’organisme intérieur de ceux qu’elle émeut ; d’autre part, l’œuvre d’art est l’expression de l’organisme intérieur de son auteur ; il s’ensuit qu’on pourra, de l’auteur, passer aux admirateurs par l’intermédiaire de l’œuvre et conclure à l’existence d’un ensemble de facultés, d’une âme analogue à celle de l’auteur ; en d’autres termes, il sera possible de définir la psychologie d’un groupe d’hommes, et d’une nation par les caractères particuliers de leurs goûts. Une littérature, un art national, se composent d’une suite d’œuvres, signes à la fois de l’organisation générale des masses qui les ont admirées, et de l’organisation particulière des hommes qui les ont produites. L’histoire littéraire et artistique d’un peuple, pourvu qu’on ait soin d’en éliminer les œuvres dont le succès fut nul et d’y considérer chaque auteur dans la mesure de sa gloire nationale, présente donc « la série des organisations mentales types d’une nation, c’est-à-dire des évolutions psychologiques de cette nation ».
La doctrine soutenue par M. Hennequin a sa part de vérité ;
- ↑ « Que l’on compare, par exemple, la nature des détails qu’il faut pour persuader une personne du monde de la vérité d’un type de gentilhomme, et de ceux qu’il faut pour provoquer la même croyance dans un feuilleton destiné à des ouvriers. On verra que, pour l’une, il faudra accumuler les détails de ton et de manières qu’elle est accoutumée à trouver dans son entourage ; pour les autres, il faudra exagérer certains traits d’existence luxueuse et perverse qu’ils se sont habitués, par haine de caste et par envie, à associer avec le type du noble. Le même raisonnement est valable pour la figure de la courtisane, qu’il faut présenter tout autrement à un débauché ou à un rêveur romanesque ; cela est si vrai que parfois le type illusoire, l’idée, l’emportent sur l’expérience la plus répétée. Les ouvriers ne croient guère à la vérité de l’Assommoir, tandis qu’ils admettent facilement le maçon ou le forgeron idéal des feuilletonistes populaires. Il faut donc qu’un roman, pour être cru d’une certaine personne et, par conséquent, pour l’émouvoir, pour lui plaire, reproduise les lieux et les gens sous l’aspect qu’elle leur prête ; et le roman sera goûté non en raison de la vérité objective ; qu’il contient, mais en raison du nombre des gens dont il réalisera la vérité subjective, les idées, l’imagination. » (Hennequin, la Critique scientifique.)