Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
le culte et le rite.

ainsi dire du domaine de la passion dans celui de l’intelligence, devient l’idée d’expiation, qui est exclusivement religieuse quoique des philosophes spiritualistes croient y voir une notion rationnelle et morale. L’expiation est une sorte de compensation naïve par laquelle on s’imagine qu’on peut contrebalancer le mal moral en y ajoutant le mal sensible. C’est une peine qui n’a aucune utilité comme amendement du coupable ou comme amendement de ceux qui pourraient suivre son exemple ; elle n’est ni corrective, ni préventive, elle est une prétendue satisfaction de la règle et de la loi, une symétrie rétablie en apparence pour le plus grand plaisir de l’intelligence, en somme une pure et simple vindicte. Dans un curieux passage des Pensées chrétiennes, le père Bouhours a très bien et très innocemment mis en relief cette inutilité de l’expiation religieuse : « Pénitence des damnés, que tu es rigoureuse, mais que tu es inutile !… La colère de Dieu peut-elle aller plus loin que de punir des plaisirs qui durent si peu par des supplices qui ne finiront jamais ? Quand un damné aura répandu autant de larmes qu’il en faudrait pour faire tous les fleuves du monde, n’en versât-il qu’une chaque siècle, il n’aura pas plus avancé, après tant de millions d’années, que s’il ne commençait qu’à souffrir… Et quand il aura recommencé autant de fois qu’il y a de grains de sable sur les bords de la mer, tout cela sera compté pour rien… » Le dernier degré de l’idée d’expiation, c’est en effet celle de la damnation éternelle. Dans cette théorie de la peine du dam et de la peine du feu, sans fin possible, on reconnaît l’antique barbarie des supplices infligés à l’ennemi par le vainqueur, ou au rebelle par le chef de tribu. Une sorte d’atavisme attache, à la religion même de l’amour ce perpétuel héritage de haine, ces mœurs d’une société sauvage monstrueusement érigées en institution éternelle et divine.


III. — LE CULTE ET LE RITE


Le culte, qui n’est pour ainsi dire que la religion devenue visible et tangible, a comme elle-même son principe le plus primitif dans une relation sociologique : l’échange des services entre les hommes vivant en société. L’homme,