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la foi dogmatique étroite.

telligence et du langage chez les enfants, E. Egger analyse cet état d’esprit « rebelle à la notion du douteux et à celle de la simple probabilité. » Le jeune Félix (un enfant de cinq ans et demi) s’intéresse vivement à l’Histoire sainte, mais il ne comprend pas qu’on y laisse des lacunes, qu’on y marque d’un doute des faits incertains. « L’état actuel de son esprit, ajoute E. Egger, correspond alors à peu près à celui de l’esprit grec dans la période où l’on s’essayait péniblement à débrouiller le chaos des vieilles légendes. » Deux ans plus tard, l’enfant en question reçoit en cadeau un recueil de contes. Il voit dans la préface que l’auteur donne ces aventures pour des faits véritables ; il n’en demande pas davantage, et il s’étonne qu’autour de lui on paraisse en douter. « Son esprit confiant ne va pas au delà de la déclaration qu’il a lue, d’autant plus que les récits sont pour lui suffisamment vraisemblables. » — Je me rappelle, par ma propre expérience, que rien n’irrite un enfant comme l’incertitude ; il faut pour lui qu’une chose soit vraie ou fausse, et il préfère généralement qu’elle soit vraie. Du reste, il ne connaît pas les limites de sa propre puissance, encore moins celle des autres ; aussi n’a-t-il pas le sentiment net du merveilleux et de l’invraisemblable. Un enfant qui voyait passer un cheval au galop me dit très sérieusement : « Je courrais bien aussi vite. » Ainsi encore, la petite fermière dont nous avons parlé demandait à sa maîtresse pourquoi elle n’aurait pas fait les fleurs du jardin. Le sens du possible manque aux intelligences primitives : lorsque vous semblez à un enfant ou à un sauvage pouvoir plus que lui, il en vient à croire que vous pouvez tout. Aussi ce que nous appelons le miracle n’apparaît-il aux peuples enfants que comme le signe visible et nécessaire d’une supériorité de puissance, à tel point que, pour eux, tout homme supérieur doit pouvoir faire des miracles ; on les lui demande comme une chose due, on s’indignerait au besoin qu’il n’en fît pas, comme un enfant s’indigne si on ne l’aide pas à porter un fardeau trop lourd pour son bras. Les Hébreux attendaient des miracles de Moïse et le forçaient pour ainsi dire d’en faire. Les peuples croient en leurs grands hommes, et la croyance au miracle n’est que le corollaire de cette confiance en un homme.

La foi atteint d’ailleurs, chez les nations primitives, un degré qu’elle est bien loin d’avoir chez les intelligences plus cultivées : on croit sans mesure des choses qui n’ont pas non plus de mesure ; le juste milieu, l’inter utrumque