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dissolution des religions.

pensons mortes en nous ; nous caressons ces illusions refroidies sans pouvoir nous résoudre à les abandonner tout à fait, comme dans les pays slaves on embrasse encore le visage pâle des morts jusque dans le cercueil ouvert, avant de jeter sur eux les poignées de terre qui brisent définitivement tous les liens visibles de l’amour.

Bien avant le christianisme les autres grandes religions, le brahmanisme et le bouddhisme, beaucoup plus larges et moins arrêtées dans leur dogme, avaient suivi l’évolution qui transforme la foi littérale en foi symbolique. Elles s’étaient conciliées successivement avec toutes les métaphysiques. Ce mouvement séculaire ne pouvait que recommencer avec une nouvelle force sous la domination anglaise. Aujourd’hui Sumangala, le grand-prêtre bouddhiste de Colombo, interprète en un sens symbolique la doctrine profonde et naïve tout ensemble de la transmigration ; il prétend rejeter les miracles ; d’autres bouddhistes éclairés acceptent la plupart des doctrines modernes, depuis Darwin jusqu’à Spencer. D’autre part, au sein de l’hindouisme, s’est formée une véritable religion nouvelle et toute théiste, celle des brahmaïstes[1] ; Râm Mohun Roy avait fondé au commencement de ce siècle une foi très symbolique et très large ; ses successeurs en sont arrivés, avec Debendra Nâth Tâgore, à nier l’authenticité même des textes, qu’on s’efforçait d’abord de tirer en tout sens. Ce dernier pas s’est fait brusquement, dans des circonstances qui méritent d’être rapportées parce qu’elles résument en quelques traits l’histoire de toute pensée religieuse. C’était vers 1847. Depuis longtemps les disciples de Ràm Mohun Roy, les brahmaïstes, discutaient sur les Védas et, fort semblables à nos protestants libéraux, persistaient à se rattacher aux textes, où ils voulaient voir l’expression nette de l’unité de Dieu ; ils se tiraient d’affaire avec tous les passages suspects en niant leur authenticité. Enfin, pris d’inquiétude, ils envoyèrent à Bénarès quatre pandits chargés de collationner les textes sacrés : c’était à Bénarès que, suivant la tradition, était conservé l’unique manuscrit soi-disant complet et authentique. Pendant deux ans que dura le travail des pandits, les Hindous attendaient la vérité comme les Hébreux au pied du Sinaï. Enfin la version authentique ou prétendue telle leur fut apportée ; ils avaient la formule définitive de la révélation.

  1. Voir M. Goblet d’Alviella, Évolution religieuse contemporaine.