Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
dissolution des religions.

dant cet attachement du peuple à une race royale possède comme sentiment une force considérable. La Révolution s’en aperçut bien dans les guerres de la Vendée. Mais cette force s’use un jour ou l’autre ; le culte de la royauté disparaît avec la royauté même, d’autres habitudes se reforment, créant d’autres sentiments, et on est tout surpris de voir que le peuple, royaliste sous les rois, devient républicain sous la république. La sensibilité ne domine pas pour toujours l’intelligence, tôt ou tard elle est contrainte de se modeler sur elle : il est un milieu intellectuel auquel il faut bien que nous nous adaptions comme au milieu physique. En ce qui concerne le sentiment religieux, sa pérennité dépend de sa légitimité. Né de certaines croyances et de certaines habitudes, il peut s’en aller avec elles. Tant qu’une croyance n’est pas complètement compromise et dissoute, le sentiment a sans doute encore la force de la conserver, car le sentiment joue toujours, à l’égard des idées auxquelles il s’est lié, le rôle de principe conservateur. Ce fait se produit dans l’âme humaine comme dans la société. Les sentiments religieux ou politiques sont comme ces coins de fer enfoncés au cœur des murailles qui menacent ruine : reliant les pierres disjointes, ils peuvent soutenir encore un temps l’édifice ; mais, que les murs minés assez profondément s’écroulent enfin, tout tombera avec eux. Rien de plus sûr pour amener l’anéantissement complet d’un dogme ou d’une institution que de les conserver jusqu’à la dernière limite du possible ; leur chute devient un véritable écrasement. Il est des périodes de l’histoire où conserver n’est pas sauver, mais perdre plus définitivement.

La perpétuité de la religion n’est donc nullement démontrée. De ce que les religions ont toujours existé, on ne peut conclure qu’elles existeront toujours : avec ce raisonnement, on pourrait arriver aux conséquences les plus singulières. Par exemple l’humanité a toujours, en tous temps et en tous lieux, associé certains événements à d’autres qui s’y trouvaient liés par hasard ; post hoc, propter hoc, c’est le sophisme universel, principe de toutes les superstitions. De là la croyance qu’il ne faut pas être treize à table, qu’il ne faut pas renverser le sel, etc. Certaines croyances de ce genre, comme celles qui font du vendredi un jour néfaste, sont tellement répandues qu’elles suffisent pour modifier très sensiblement la moyenne des voyageurs transportés à Paris par les chemins de fer et les omnibus ; bon nombre de parisiens répugnent à