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dissolution des religions.

brillant et hardi ; et implorant son Dieu : « Seigneur, disait-il, permets qu’Ismaël vive devant toi ! « Mais cela ne pouvait être. La Grèce, cet Ismaël parmi les peuples, a péri. Plus tard, la Renaissance se présente pour lui succéder ; elle est pleine d’avenir, on s’écrie de toutes parts en la voyant : le rêve, le sombre cauchemar est passé, plus d’ascétisme religieux, revenons à la nature. La Renaissance prend en horreur le moyen âge tonsuré et encapuchonné, dont l’esprit est le renoncement et la mortification ; pour elle, l’idéal est la plénitude de la vie, c’est l’élargissement de soi, c’est la satisfaction libre et joyeuse de tous nos instincts, c’est l’art, c’est la science, c’est le bien vivre ; notre Rabelais la personnifie. Hélas ! la Renaissance devait tomber comme la Grèce était tombée autrefois, et le successeur naturel de la Renaissance, suivant M. Matthew Arnold, c’est Georges Fox, le premier quaker, le contempteur déclaré des arts et des sciences. Enfin, de nos jours, un peuple en Europe a pris la succession de la Grèce ; cette Grèce moderne chère aux hommes éclairés de toutes les nations, amie de l’art et des sciences, c’est la France. « Que de fois, avec quelle ardeur, n’a-t-on pas adressé en sa faveur cette prière au Dieu du ciel : Laisse Ismaël vivre devant toi. La France, c’est l’homme sensuel moyen, Paris est sa ville ; qui de nous ne s’y sent attiré ? » Le Français a cette supériorité sur l’homme de la Renaissance qu’il y a dans notre esprit quelque chose de plus pondéré que dans celui des autres peuples ; aussi, quoique la France ait voulu donner la liberté à l’homme et l’affranchir de la règle austère du sacrifice, elle n’a point fait de l’homme quelque chose de monstrueux, et la liberté n’est point devenue folie. Nos idées se sont formulées dans un système d’éducation qui est le développement régulier, complet, mesuré de toutes les facultés humaines. Aussi l’idéal français ne choque pas les autres nations, il les séduit ; pour elles, notre pays s’appelle « la France du tact, de la mesure, du bon sens, de la logique ». Nous développons l’être entier a en toute confiance, sans douter, sans rien violenter. » De cet idéal nous avons tiré notre « fameux évangile des droits de l’homme ». Les droits de l’homme ne font que systématiser les idées grecques et françaises, consacrer la suprématie du moi, s’épanouissant en pleine liberté, sur l’abnégation et le sacrifice religieux. En France, dit M. Matthew Arnold, « on prend les désirs de la chair et les pensées courantes pour les