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introduction.

vail, un travail préparatoire ; mais les produits de ce travail ne sauraient être présentés comme définitifs. Le faux, l’absurde même a toujours joué un si grand rôle dans les affaires humaines qu’il serait assurément dangereux de l’en exclure du jour au lendemain : les transitions sont utiles, même pour passer de l’obscurité à la lumière, et l’on a besoin d’une accoutumance même pour la vérité. C’est pour cela que la vie sociale a toujours reposé sur une large base d’erreurs. Aujourd’hui cette base va se rétrécissant. Une épouvante s’empare alors des « conservateurs », qui craignent que tout l’équilibre social ne soit compromis ; mais, encore une fois, cette diminution du nombre des erreurs est précisément ce qui constitue le progrès, ce qui le définit en quelque sorte. Le progrès, en effet, n’est pas seulement une amélioration sensible de la vie ; il en est aussi une meilleure formule intellectuelle, il est le triomphe de la logique : progresser, c’est arriver à une plus complète conscience de soi et du monde, par là même à une plus grande conséquence de la pensée avec soi. À l’origine, non seulement la vie morale et religieuse, mais la vie civile et politique reposait sur les plus grossières erreurs, monarchie absolue et de droit divin, castes, esclavage ; toute cette barbarie a eu son utilité, mais c’est justement parce qu’elle a été utile qu’elle ne l’est plus : elle a servi de moyen pour nous faire arriver à un état supérieur. Ce qui distingue le mécanisme de la vie des autres mécanismes, c’est que les rouages extérieurs travaillent à s’y rendre eux-mêmes inutiles, c’est que le mouvement, une fois produit,