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l’irréligion de l’avenir.

d’illuminés faisant du socialisme dans une arrière-boutique de Londres, à telle bande d’ascètes méditant comme les Esséniens d’autrefois sur les misères de ce monde, dans quelque jungle de l’Hindoustan. Peut-être leur suffirait-il de trouver sur le chemin de Damas un autre Paul qui les lance dans les voies du siècle[1]. » — Elles sont bien superficielles ces analogies qu’on veut établir entre notre siècle et celui des Antonins, entre le siècle qui, dans son ensemble, est le plus incrédule de tous, et celui qui s’est montré le plus crédule à l’égard de toutes les religions, celle d’Isis et de Mithra comme celle de Jésus, celle du serpent parlant comme celle du Christ incarné dans le sein d’une vierge. On oublie que, depuis dix-huit cents ans, une chose nouvelle s’est produite dans l’histoire de l’humanité, la science ; celle-ci n’est plus compatible avec les révélations surnaturelles et avec les miracles qui fondent les religions.

Nous objectera-t-on qu’il se fait cependant encore des miracles ? — Sans doute, un ou deux illustres en un siècle ! Ce qu’il y a d’étonnant, ce n’est pas qu’il se fasse encore des miracles, c’est que, avec des millions de croyants encore convaincus, avec des milliers de femmes et d’enfants nécessairement exaltés, il s’en fasse si peu. Chaque jour devrait avoir son miracle bien et dûment constaté, et malheureusement ces miracles quotidiens ne se produisent plus guère que dans les hôpitaux de fous ou d’hystériques. Tandis que là des savants incrédules les provoquent et les publient, ailleurs les vrais croyants en ont presque peur, les évitent ou les taisent. Si un roi défendit autrefois à Dieu de faire des miracles, le pape en est presque venu au même point aujourd’hui : ils sont un objet de doute et de défiance plutôt que d’édification. Chez les nations protestantes orthodoxes, il ne se fait plus aujourd’hui de miracles ; dans l’enseignement, les théologiens éclairés n’insistent même plus sur les récits merveilleux de la première tradition chrétienne : ils les considèrent comme pouvant affaiblir l’autorité des Écritures plutôt que la renforcer. Ajoutons que, pour fonder une religion nouvelle ou produire une rénovation des religions anciennes, un miracle ou deux seraient impuissants ; ils pourraient plutôt se retourner contre la religion et la détruire. Il faut une série de miracles, il faut une sorte d’atmosphère merveilleuse dans laquelle soient plongés et

  1. L’évolution religieuse contemporaine, par M. Goblet d’Alvielia, page 411.