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l’irréligion de l’avenir.

universel. Point de maisons fermées, de temples fermés, d’âmes fermées ; point de vies cloîtrées et murées, de cœurs étouffés ou éteints ; mais la vie à ciel ouvert et à cœur ouvert, sous l’air libre, sous l’incessante bénédiction du soleil et des nuées.

On accuse souvent le philosophe d’orgueil parce qu’il rejette la foi ; pourtant c’est le père de notre philosophie, c’est Socrate qui a dit le premier : je ne sais qu’une chose, que je ne sais rien. C’est précisément parce que le philosophe sait combien de choses il ignore, qu’il ne peut pas affirmer au hasard et qu’il est réduit sur bien des points à rester dans le doute, dans l’attente anxieuse, à respecter la semence de vérité qui ne doit fleurir que dans l’avenir lointain. Affirmer ce qu’on ne sait pas de science certaine, c’est une sorte de cas de conscience. Au point de vue individuel comme au point de vue social, le doute semble, dans certains cas, un véritable devoir ; — le doute ou, si l’on aime mieux, l’ignorance méthodique, l’humilité, l’abnégation de la pensée. Là où le philosophe ignore, il est moralement forcé de dire aux autres et de se dire à lui-même : j’ignore, je doute, j’espère, rien de plus.

Le sentiment le plus original et l’un des plus profondément moraux de notre siècle, — du siècle de la science, — c’est précisément ce sentiment de doute sincère par lequel on considère tout acte de foi comme une chose sérieuse, qu’on ne saurait accomplir à la légère, un engagement plus grave que tous ces engagements humains qu’on hésite tant à prendre : c’est la signature dont parlait le moyen âge, qu’on trace avec une goutte de son sang et qui vous enchaîne pour l’éternité. Au moment de la mort surtout, à cette heure où les religions disent à l’homme : abandonne-toi un instant, laisse-toi aller à la force de l’exemple, de l’habitude, au désir d’affirmer même là où tu ne sais pas, à la peur enfin, et tu seras sauvé, — à cette heure où l’acte de foi aveugle est la suprême faiblesse et la suprême lâcheté, le doute est assurément la position la plus haute et la plus courageuse que puisse prendre la pensée humaine : c’est la lutte jusqu’au bout, sans capitulation ; c’est la mort debout, en présence du problème non résolu, mais indéfiniment regardé en face.