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l’association des intelligences.

plus hautes associations religieuses ne seront que des associations d’études religieuses ou métaphysiques. Ainsi se réconcilieront les éléments les meilleurs de l’individualisme et du socialisme. Le caractère impondérable et extensible à l’infini de la science, la possibilité qu’elle nous donne d’ajouter la valeur de tous à notre valeur personnelle sans pourtant en rien détourner, font de l’acquisition des connaissances le type de l’appropriation parfaite, qui satisfait tout à la fois l’individu et la société.

Il y a toutefois ici un écueil à éviter. Il faut se défier de la force que les opinions, surtout les opinions morales, sociales et métaphysiques, semblent prendre lorsqu’elles sont réunies en faisceau, comme les sarments de la fable ; cette force de résistance qu’elles gagnent n’augmente en rien leur valeur intrinsèque, — de même que chaque sarment reste individuellement aussi fragile, même au sein du faisceau qui résiste à la main la plus vigoureuse. Novalis disait : « Ma croyance a gagné un prix infini à mes yeux, du moment que j’ai vu qu’une autre personne commençait à la partager, » — C’est là une constatation psychologique fort juste, mais c’est au fond la constatation d’une illusion dangereuse et contre laquelle il faut se prémunir ; car, dans un certain entraînement de passion, il est plus facile de se tromper à deux, il est plus facile même de se tromper quand on est mille, que quand on est un. La science a ses enthousiastes, mais elle a aussi ses fanatiques ; elle aurait au besoin ses intolérants et ses violents. Heureusement, elle porte son remède avec elle : agrandissez la science, et elle devient le principe même de toute tolérance, car la science la plus grande est celle qui connaît le mieux ses limites.

Tandis que les esprits distingués s’associeront ainsi pour mettre en commun leurs travaux et leurs spéculations, les hommes dont la vie est tournée plutôt du côté du travail manuel s’associeront aussi pour mettre en commun leurs croyances plus ou moins vagues, plus ou moins irréfléchies, mais d’où le surnaturel sera exclu toujours davantage à mesure que l’instruction scientifique se répandra dans le peuple. Ces croyances, qui seront surtout métaphysiques chez certains peuples, pourront être chez d’autres, comme dans les nations latines, surtout sociales et morales. Toutes les associations offriront les types les plus divers, selon les opinions mêmes qui auront présidé à leur formation ; elles se ressem-