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l’irréligion de l’avenir.

providence tendront à se résoudre de plus en plus dans quelque action spontanée essentielle à tous les êtres, surtout aux êtres doués de conscience. La religion s’est changée peu à peu en une métaphysique de finalité immanente, où il ne subsiste plus que cette proposition très générale : — Le monde a un sens et une « fin interne[1] » ; le monde est « une société d’êtres » qui peuvent arriver à découvrir en eux un même « ressort moral[2] ». — Dieu est le terme humain par lequel nous désignons ce qui rend possible le mouvement (hi monde vers un étatde paix, de concorde, d’harmonie. Et comme le possible, pour l’intelligence humaine, paraît se fonder sur le réel[3], la croyance à la possibilité d’un monde meilleur devient la croyance à quelque chose de divin qui est immanent au monde.

Entre le théisme le plus idéaliste et ce qu’on nomme l’athéisme, il n’existera plus un jour qu’une distance qui peut aller diminuant à l’infini. Beaucoup d’athées sont déjà, malgré le tranchant des mots, d’accord avec les théistes, parfois « ivres de Dieu. » Quand on ne s’entend pas sur l’existence actuelle de Dieu, on a toujours comme ressource son existence progressive, le devenir de Dieu, la réalisation de l’idéal, la descente graduelle et incessante du Christ sur la terre et les mondes. Le pressentiment du progrès vient se confondre avec le sentiment même de la présence actuelle du divin : on croit sentir l’idéal prendre vie et palpiter près de soi. On est comme l’artiste qui contemple intérieurement l’œuvre projetée avec tant d’amour et avec une telle puissance de regard, qu’il la voit surgir devant ses yeux : sur la toile encore incolore se lève la forme rêvée, et elle est plus belle peut-être qu’elle ne sera jamais.

Quand les idées se sont sui’lisamment subtilisées et élargies, elles en viennent à mépriser le mot. Comment répondre en termes catégoriques à des interrogations comme celle de la Marguerite de Faust ? « Il y a peut-être bien longtemps que tu n’es allé à la messe… Crois-tu en Dieu ? » — « Ma bien aimée, répond Faust, qui oserait affirmer qu’il y a un Dieu ?… — Ainsi tu n’y crois pas ?… — Qui osera dire qu’il ne croit pas, s’il écoute la voix de son cœur ?… Quand un sentiment de tendresse et de bonheur

  1. Voir Kant, Critique du jugement.
  2. Voir M. A. Fouillée, les Systèmes de morale contemporains.
  3. Voir Aristote, Métaphysique, et, en opposition, la Logique de Hegel.