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l’irréligion de l’avenir.

mécanique et brutale des causes efficientes, sans aucune espèce de finalité interne, sans progrès véritable. Le déroulement des modes de la substance, même quand il est douleur, mort, vice, est divinisé. On se demande pourquoi cette existence prétendue parfaite, incapable de tout progrès réel, n’est pas de tout point immuable, et pourquoi cette éternelle agitation sans but au sein de la substance absolue.

À en croire M. Fiske, le spinozisme serait la seule doctrine à laquelle convînt le nom de panthéisme. C’est là une classification qui nous semble trop étroite. Tout théisme finaliste tend à devenir, lui aussi, panthéisme, quand il nie la transcendance et quand il admet une sorte d’unité organique du monde, qui est le Deus vivus, la Natura naturans, mais avec une loi de progrès supérieure aux lois nécessaires de la pure logique, de la mathématique, de la mécanique. L’exclusion de toute finalité immanente aux choses n’est donc pas indispensable au panthéisme. On peut même concevoir un panthéisme en quelque sorte moral, qui admettrait un sens moral du monde, tout au moins ce que M. Fiske lui-même appelle une tendance dramatique vers un dénouement moral. Dès lors, si c’est un Dieu qui se développe ainsi et « peine » dans l’univers, l’homme se croit, à tort ou à raison, plus rassuré sur le sort de son idéal moral. On sent un but vers lequel marcher, et dans l’ombre des choses on entend quelqu’un marcher avec soi ; on n’a plus peur de la vanité de toute existence, puisque, au contraire, toute existence est divinisée, sinon telle qu’elle est, du moins telle qu’elle tend à être et sera un jour dans le tout.

Ce système, selon ses partisans, serait une induction justifiée par la doctrine moderne de l’évolution. M. Fiske va jusqu’à dire que le darwinisme a remis dans le monde autant de téléologie qu’il en avait enlevé. Malheureusement rien n’est plus problématique qu’une telle interprétation de la science moderne. La science ne nous montre rien de divin dans l’univers, et l’évolution qui fait et défait sans cesse des mondes semblables les uns aux autres ne nous présente avec certitude aucune fin naturelle, consciente ou inconsciente. La fin, l’idéal pourrait donc fort bien, scientifiquement, n’être qu’une idée humaine ou du moins propre aux êtres doués de conscience réfléchie. Nulle induction d’ordre scientifique ne permet de prêter à l’univers comme toi, au grand Tout, une conscience de ce genre. C’est d’ailleurs