Page:Guyau - L’Irréligion de l’avenir.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
403
le panthéisme pessimiste.

sophie de la Rédemption (die Philosophie der Erlösung). Ce pessimiste était fils de parents d’une piété exaltée, petit-fils d’une mystique morte d’une fièvre nerveuse à trente-trois ans, frère d’un autre mystique qui, parti aux Indes, s’était converti au bouddhisme pour mourir bientôt après, épuisé par ses luttes intérieures ; Philipp trouva lui-même son chemin de Damas dans la boutique d’un libraire de Naples, où il découvrit les écrits de Schopenhauer. Après avoir rédigé son système de philosophie pessimiste, il veilla à l’impression du premier volume et, le jour où il en reçut le premier exemplaire (31 mars 1876), il se pendit[1]. On ne pourra nier la force de la conviction chez ce pessimiste, ni la puissance d’attraction des idées abstraites lorsqu’elles s’implantent dans un cerveau préparé par l’hérédité et l’atmosphère morale. Pour Mainlaender, la philosophie doit un jour remplacer la religion, mais en l’interprétant dans son vrai sens, qui est pessimiste : Mainlaender se déclare hautement « chrétien », tout en prétendant fonder scientifiquement l’athéisme. La liberté du suicide est la nouvelle force d’attrait par laquelle on remplacera la belle illusion de l’immortalité ; le salut par la mort remplacera le salut par la vie éternelle. L’arbre de la science deviendrait ainsi le figuier légendaire de Timon le Misanthrope, qui, à chaque matin nouveau, portait pendus à ses fortes branches ceux qui étaient venus chercher l’oubli du mal de vivre.


I. — Pour apprécier la valeur et la durée probable de ce sentiment pessimiste qu’on veut identifier de nos jours avec le sentiment religieux, il faut d’abord en rechercher les causes.

Diverses raisons ont amené cette transformation du panthéisme qui, après avoir divinisé le monde, rêve aujourd’hui son anéantissement et sa réabsorption dans l’unité originelle. La première cause est le progrès même de la métaphysique panthéiste. Après avoir adoré la nature comme l’œuvre d’une raison immanente, on a fini par y voir une œuvre de déraison, une chute de l’unité indéterminée et inconsciente dans la misère et le conflit des déterminations phénoménales, des consciences condam-

  1. Voir dans la Revue philosophique, juin 1885, un article de M. Arréat sur Mainlaender.