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le naturalisme idéaliste.

sentir et le vouloir[1]. Ces trois formes diverses et toujours unies de la vie mentale[2] sont les grandes forces sur lesquelles le sentiment moral et religieux pourra toujours chercher un point d’appui.

Dans la question du mal, l’idéalisme ainsi entendu constitue une des solutions les plus capables de tenter la pensée. L’optimisme étant insoutenable, comme nous l’avons vu, et le pessimisme étant une exagération, l’hypothèse métaphysique et religieuse la plus plausible de nos jours serait la conception d’un « progrès possible dans le monde grâce à une spontanéité radicale des êtres[3] ». Dans cette hypothèse, la volonté, avec sa tendance au développement le plus grand et le plus universel possible, serait la puissance primitive par excellence, le fond de l’homme et de l’univers. L’idée de liberté, chez l’homme, serait la conscience de cette puissance progressive, immanente à tous les êtres, et cette idée deviendrait le ressort de notre vie morale. L’idée de liberté, au sein même du déterminisme, « produit une direction nouvelle » : elle devient un motif nouveau parmi les motifs, un mobile nouveau parmi les mobiles ; « elle se réalise en se concevant et en se désirant. » Grâce à l’intermédiaire de cette idée, la réalité enveloppe une puissance de liberté progressive, c’est-à-dire « d’union constante avec le tout, et d’affranchissement moral. » — « Au début, guerre universelle des forces, fatalité brutale, mêlée infinie des êtres s’entrechoquant sans se connaître, par une sorte de malentendu et d’aveuglement ; puis organisation progressive, qui permet le dégagement des consciences, et par cela même des volontés : union progressive des êtres se reconnaissant peu à peu pour frères. La mauvaise volonté serait transitoire et naîtrait, soit des nécessités mécaniques, soit de l’ignorance intellectuelle ; la bonne volonté, au contraire, serait permanente, radicale, normale, et viendrait du fond même de l’être. La dégager en soi, ce serait s’affranchir du passager et de l’individuel au profit du permanent et de l’universel. Ce serait devenir vraiment libre et, par cela même, ce serait devenir aimant[4]. »

Dans le naturalisme idéaliste ainsi fondé sur l’ « idée de liberté, » il n’y aurait plus opposition absolue entre la liberté

  1. Voir Schopenhauer, Horwicz, et, chez nous, M. Fouillée.
  2. Voir Wundt, Psychologie physiologique.
  3. Alfred Fouillée, la Liberté et le Déterminisme, 2e édition, p. 353, 354, 356.
  4. Ibid.