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le naturalisme idéaliste.

idéale est le terme de l’évolution des choses et que la volonté qui y tend en est le principe[1].

On a objecté à cet évolutionisme idéaliste que, « si le progrès a un but et des principes, l’évolution n’en a pas[2]. » — Mais la doctrine en question a précisément pour objet de donner un « but » et des principes à l’évolution, d’étendre le « progrès » au monde entier. On a encore objecté à cette hypothèse d’un naturalisme en quelque sorte panthéliste, selon lequel tout est volonté (θέλος), que, « si on place de la liberté partout, cela revient à n’en mettre nulle part[3].» Cette objection n’est pas exacte, car il faudrait dire alors, dans la sphère économique, qu’en augmentant le bien-être de tous on n’augmente celui de personne, ou qu’en appauvrissant tout le monde également, on enrichirait tout le monde. Autre chose est d’universaliser une notion, autre chose de la supprimer. On ne peut plus séparer aujourd’hui la conception du monde de celle de l’homme, elles sont solidaires. Mettez-vous, par exemple, un libre arbitre indifférent dans l’homme, Épicure aura alors raison de mettre l’indéterminisme au fond de toutes choses[4]. De même, supposez-vous qu’il existe dans l’bomme une « bonne volonté radicale, très distincte du libre arbitre, mais qui n’en constitue pas moins une sorte de liberté morale en voie de formation[5] » ; on devra alors retrouver le germe de cette volonté dans le monde entier, sous une forme plus ou moins inconsciente. Pour que réellement l’esprit humain enfante quelque chose, il faut que tout l’univers soit comme lui en travail. Les partisans de la « bonne volontés » comme fond de la moralité humaine sont donc logiques en la plaçant, plus ou moins dégradée, dans la nature entière, chez tous les êtres où point déjà l’intelligence ; et, en même temps que la bonne volonté, il faudra imaginer dans ces êtres un obscur commencement de responsabilité, de mérite ou de démérite implicite, revenir enfin à la

  1. « La catégorie de l’existence réelle ne semble point convenir à l’idée de la liberté ; celle-ci ne peut être conçue par nous, en sa perfection, que sous la catégorie de l’idéal, en son imperfection, que sous celle du devenir ». A. Fouillée, la Liberté et le Déterminisme, conclusion.
  2. M. Franck, Essais de critique philosophique.
  3. M. Franck, Ibid.
  4. C’est ce que nous croyons avoir montré, dès 1873, dans notre livre sur Épicure. — Voir aussi notre Morale anglaise, 2e partie, p. 385-386 de la 2e édition.
  5. A. Fouillée, la Liberté et le Déterminisme, 2e édition.