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le naturalisme matérialiste.

étincelantes sous leurs glaciers, elles montent en silence dans la lumière : il semble qu’un immense effort soulève ces masses énormes et les porte en haut, il semble que leur immobilité ne soit qu’apparente ; on croit se sentir emporté avec elles vers le zénith. Ainsi les héros de la légende indienne, quand ils sont fatigués de la vie et de la terre, réunissent leurs dernières forces, gravissent, la main dans la main, la haute montagne, l’Himalaya ; la montagne les porte dans la nue. Pour tous les anciens peuples, la montagne était la transition entre la terre et le ciel ; c’était là que les âmes, profitant de l’élan que la terre s’était imprimé à elle-même, prenaient plus librement leur essor : la montagne était une voie vers les cieux ouverte par la nature même. Peut-être y a-t-il quelque chose de profond dans ces idées naïves qui prêtent à la nature des aspirations plutôt humaines : n’existe-t-il pas en elle de grandes voies tracées, de grandes lignes, de grandes ébauches ? Elle a fait tout cela sans le savoir, comme les blocs de pierre se sont soulevés lentement vers les étoiles sans savoir où ils allaient. À l’homme de mettre un sens à son œuvre, de se servir de ses efforts, d’employer les siècles passés comme des matériaux sur lesquels s’élèvera l’avenir : en gravissant la nature, il aura gravi le ciel.


II. — NATURALISME MATÉRIALISTE


Pour bien juger l’idéalisme, il faut lui opposer son contraire, le matérialisme.

Nous ne dirons que quelques mots du matérialisme pur, parce qu’il est le système le plus éloigné de la pensée même qui a produit les religions et les métaphysiques. Le matérialisme absolu n’est du reste pas facile à définir, parce que le mot même de matière est un des plus vagues qui existent. Si on veut se représenter les derniers éléments de la matière indépendamment de toute pensée, de toute conscience, de toute vie plus ou moins parente de la nôtre, on poursuit évidemment une chimère ; on aboutit à l’indétermination pure de la matière platonicienne, aristotélique, hégélienne, dyade indéfinie, virtualité, identité de l’être et du non-être. Aussi les matérialistes sont-ils obligés de donner un nom déterminé et matériel à la force