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l’immortalité dans le naturalisme moniste.

le degré de subsistance possible de l’individualité vraie dans l’universalité de l’être. Schopenhauer, cependant, essayant de rendre à la personne plus de réalité que Platon, a opposé le « principe d’individuation » à l’individualité naturelle où il prend forme. On peut se demander en effet si la vraie conscience, la vraie pensée, la vraie volonté ne débordent pas l’individualité, tout en conservant ce qu’il y a d’essentiel dans la personnalité même. L’individualité est toujours plus ou moins physique, mais peut-être ce qui fait l’individualité bornée ne fait-il pas la vraie personnalité, le vrai fond lumineux et actif de la conscience ; peut-être la plus haute pensée ou volonté, tout en devenant universelle, reste-t-elle encore personnelle en un sens supérieur, comme le Νοὒς d’Anaxagore[1].

Que nous spéculions sur l’être individuel ou sur l’être universel, nous aboutissons toujours au même X transcendant. Toutefois ces spéculations ont une utilité : celle de nous rappeler les limites de notre connaissance positive. La croyance à une immortalité transcendante ne peut alors, selon les expressions de Fiske, « se définir que par le mode négatif, comme un refus de croire que ce monde soit tout. Le matérialiste soutient que, quand nous avons décrit l’univers entier des phénomènes, dont nous pouvons prendre connaissance dans les conditions de la vie actuelle, alors toute l’histoire est dite. Il me semble, au contraire,

  1. « Au sein même de la personne, l’universalité augmente avec l’individualité, c’est-à-dire que, plus un être a d’existence pour lui, plus il devient participable pour autrui. L’incommunicabilité ou l’impénétrabilité n’est que le plus infime degré de l’existence : c’est l’existence naturelle, l’existence des forces encore aveugles et fatales, maintenues par leur lutte mutuelle et leur mutuel équilibre dans l’inertie et la torpeur… Plus un être se possède lui-même par l’intelligence, plus aussi il est capable de posséder les autres êtres par la pensée : l’être qui se connaît le mieux n’est-il pas aussi celui qui connaît le mieux les autres ?… L’esprit, en tant qu’intelligent, doit être ouvert, pénétrable, participable et participant. Deux esprits, sans se confondre, peuvent, à mesure qu’ils sont plus parfaits, se pénétrer plus parfaitement l’un l’autre par la pensée. » (A. Fouillée, Philosophie de Platon, II, 714).

    « Il faut, a dit également M. Janet, distinguer la personnalité et l’individualité. L’individualité se compose de toutes les circonstances extérieures qui distinguent un homme d’un autre homme, circonstances de temps, de lieux, d’organisation, etc. La personnalité a sa racine dans l’individualité, mais elle tend sans cesse à s’en dégager. L’individu se concentre en lui-même ; la personnalité aspire au contraire à sortir d’elle-même. L’idéal de l’individualité, c’est l’égoïsme, le tout ramené à moi ; l’idéal de la personnalité, c’est le dévouement, le moi s’identifiant avec le tout. La personnalité, au sens propre, c’est la conscience de l’impersonnel (Morale, 573). »