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l’irréligion de l’avenir.

celui que cherchent à résoudre les sociétés humaines. Au premier degré de l’évolution sociale, la solidité et la flexibilité d’adaptation ont été rarement unies : l’immuable Égypte, par exemple, n’a pas été très progressive. Au second degré, à mesure que la science avance et que, dans l’ordre pratique, la liberté grandit, la civilisation se montre tout ensemble plus solide et plus indéfiniment flexible. Un jour, quand la civilisation scientifique sera une fois maîtresse du globe, elle aura à son service une force plus sûre que les masses les plus compactes et en apparence les plus résistantes, elle sera plus inébranlable que les pyramides mêmes de Chéops. En même temps, une civilisation scientifique se montrera de plus en plus flexible, progressive, plus capable d’appropriation à tous les milieux. Ce sera la synthèse de la complexité et de la stabilité. Le caractère même de la pensée est d’être une faculté d’adaptation croissante, et plus l’être s’intellectualise, plus il augmente sa puissance d’appropriation. L’œil, plus intellectuel que le tact, fournit aussi un pouvoir d’adaptation à des milieux plus larges, plus profonds, plus divers. La pensée, allant encore plus loin que l’œil, se met en harmonie avec l’univers même, avec les vents et les étoiles de l’immensité comme avec les atomes de la goutte d’eau. Si la mémoire est un chef-d’œuvre de fixation intellectuelle, le raisonnement est un chef-d’œuvre de flexibilité, de mobilité et de progrès. Donc, qu’il s’agisse de l’individu ou des peuples, les plus intellectuels sont aussi ceux qui ont à la fois le plus de stabilité et le plus de malléabilité. Le problème social est de trouver la synthèse de ces deux choses. Le problème de l’immortalité est au fond identique à ce problème social ; seulement, il porte sur la conscience individuelle conçue comme une sorte de conscience collective. À ce point de vue, il est probable que, plus la conscience personnelle est parfaite, plus elle réalise à la fois une harmonie durable et une puissance de métamorphose indéfinie. Par conséquent, en admettant même ce que disaient les pythagoriciens, que la conscience est un nombre, une harmonie, un accord de voix, on peut encore se demander si certains accords ne deviendront pas assez parfaits pour retentir toujours, sans cesser pour cela de pouvoir toujours entrer comme éléments dans des harmonies plus complexes et plus riches. Il existerait des sons de lyre vibrant à l’infini sans perdre leur tonalité fondamentale sous la multiplicité