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l’irréligion de l’avenir.

dans le flot mouvant et se laisser comme porter par lui pour s’y voir.


Ce sont là, à coup sûr, des spéculations dans un domaine qui, s’il ne sort pas de la nature, sort de notre expérience et de notre science actuelle. Mais la même raison qui frappe d’incertitude toutes ces hypothèses est aussi celle qui les rend et les rendra toujours possibles : notre ignorance irrémédiable du fond même de la conscience. Quelque découverte que la science puisse faire un jour sur la conscience et ses conditions, on n’arrivera jamais à en déterminer scientifiquement la nature intime, ni, conséquemment, la nature durable ou périssable. Qu’est-ce, psychologiquement et métaphysiquement, que l’action consciente et le vouloir ? Qu’est-ce même que l’action qui paraît inconsciente, la force, la causalité efficace ? Nous ne le savons pas ; nous sommes obligés de définir l’action interne et la force par le mouvement externe, qui n’en est pourtant que l’effet et la manifestation. Mais un philosophe restera toujours libre de nier que le mouvement, comme simple changement de relations dans l’espace, soit le tout de l’action, et qu’il n’y ait que des mouvements sans moteurs, des relations sans termes réels et agissants qui les produisent. Dès lors, comment savoir jusqu’à quel point la véritable action est durable en son principe radical, dans la force interne dont elle émane, dont le mouvement local est comme le signe visible, dont la conscience est l’ « appréhension » intime et immédiate. Nous retenons toujours quelque chose de nous, dans l’action comme dans la parole ; peut-être pourrons-nous retenir quelque chose de nous, même dans le passage à travers cette vie. Il est possible que le fond de la conscience personnelle soit une puissance incapable de s’épuiser dans aucune action comme de tenir dans aucune forme.

En tout cas, il y a là et il y aura toujours là un mystère philosophique qui vient de ce que la conscience, la pensée est une chose sui generis, sans analogie, absolument inexplicable, dont le fond demeure à jamais inaccessible aux formules scientifiques, par conséquent à jamais ouvert aux hypothèses métaphysiques. De même que l’être est le grand genre suprême, genus generalissimum, enveloppant toutes les espèces de l’objectif, la conscience est le grand genre suprême enveloppant et contenant toutes les espèces du subjectif ; on ne pourra donc jamais répondre entière-