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PREMIER APPENDICE

LA POÉSIE DU TEMPS[1]

En ce qui concerne l’effet poétique produit par l’éloignement dans le temps, une question préalable se présente, celle qui concerne l’effet esthétique du souvenir même, — du souvenir qui est en somme une forme de la sympathie, la sympathie avec soi-même, la sympathie du moi présent pour le moi passé. L’art doit imiter le souvenir ; son but doit être d’exercer comme lui l’imagination et la sensibilité, en économisant le plus possible leurs forces. De même que le souvenir est un prolongement de la sensation, l’imagination en est un commencement, une ébauche. Au fond, la poésie de l’art se ramène en partie à ce qu’on appelle la «poésie du souvenir» ; l’imagination artistique ne fait que travailler sur le fonds d’images fourni à chacun de nous par la mémoire. Il doit donc y avoir, jusque dans le souvenir, quelque élément d’art. Au fond, le souvenir offre par lui seul les caractères qui distinguent, selon Spencer, toute émotion esthétique. C’est un jeu de l’imagination, et un jeu désintéressé, précisément parce qu’il a pour objet le

  1. Nous extrayons ces pages du volume sur l’Art au point de vue sociologique, pour compléter l’étude sur l’idée du temps qu’on vient de lire.