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GENÈSE DE L’IDÉE DE TEMPS

bre, l’ordre et le temps » que l’aveugle pense se mouvoir, et non, comme nous, dans l’étendue[1]. Riehl admet aussi que l’espace est un caractère appartenant exclusivement aux sensations visuelles. Cette doctrine nous paraît tout à fait imaginaire, et nous ne croyons pas à cette antériorité de l’ordre du temps sur celui de l’espace. D’abord, comment se représenter l’ordre, sinon d’une manière figurative qui est toujours plus ou moins spatiale ? L’aveugle-né se représente la sensation de sa main prenant le morceau de pain et en ayant le contact, puis le contact du morceau de pain avec sa bouche, puis le contact de la bouchée traversant l’œsophage. Ce sont là des représentations d’espace tactile, et non pas seulement de temps tactile, car il y a là des contacts localisés en divers points de l’organisme. L’aveugle connaît aussi bien que nous la place de sa main droite, celle de sa main gauche, celle de sa bouche, celle de son gosier, etc. Il n’a pas besoin de les voir ; il fait mieux que voir, il sent et touche. Nous pensons donc, avec les psychologues cités plus haut, que toutes nos sensations, internes et externes, ont une forme d’extension plus ou moins

  1. Psych. II, p. 209.