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AVANT-PROPOS

ou de religion, la majorité des hommes est toujours portée à éviter la discussion, à se retrancher en soi, à laisser les doctrines adverses dans une ombre qui empêche l’esprit de les apercevoir et de les apprécier à leur juste valeur ; en un mot, on préfère les juger de parti pris et les condamner sans les entendre, comme si ce qu’il y a de plus difficile au monde, ce n’était pas de juger une doctrine qui n’est point la nôtre ! On ne saurait assez se persuader combien une tête humaine est étroite, combien nous avons de peine à faire entrer en nous toute la pensée d’ autrui et à regarder les choses du point de vue où les autres. les regardent. Dans les pays de montagnes, ne suffit-il pas parfois d’une distance de quelques pas pour nous cacher une haute cime qu’un autre mieux placé découvre au loin ? Les moralistes anglais, il faut pourtant le reconnaître, n’ont jamais eu l’intention de provoquer cette crainte et cette répugnance qu’ils causent encore maintenant à beaucoup d’esprits. Ils se sont bornés à exposer simplement, presque naïvement leur pensée ; ils sont généralement froids et semblent avoir l’horreur du « scandale », qui sourit assez aux écrivains allemands ou français. Aussi leurs idées ne se produisent-elles point bruyamment ; d’autre part, elles ne se cachent point sous de mystérieuses formules et ne cherchent point la profondeur apparente dans l’obscurité. Les Anglais semblent un peu ignorer ces « coups de pistolet » dont parle M. Lewes et que savent si bien tirer les philosophes allemands contemporains. On a plaisir à les accompagner dans leur recherche de la vérité, tant ils accomplissent cette recherche avec conscience et scrupule ; ils y apportent même cet esprit de minutie propre aux Anglais et qui parfois empêche les vues d’ensemble, excepté chez les grands