Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/104

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autrefois les femmes sous leurs parures. » Ces paroles, qui révoltaient Voltaire comme des crimes de « lèse-poésie, » et auxquelles pourtant on n’attribuait pas plus d’importance alors qu’à des boutades, paraîtraient aujourd’hui à un grand nombre de savants et de penseurs l’expression exacte d’une vérité. La poésie, qui avait pour elle, au dix-septième et au dix-huitième siècle, la majorité des « honnêtes gens, » n’aura bientôt plus, nous dit-on, que la minorité. La science est la grande obsession de notre siècle ; nous lui rendons tous, quelquefois sans en avoir bien conscience, un certain culte au fond de l’âme, et nous ne pouvons nous retenir de quelque dédain à l’égard de la poésie. M. Spencer compare la science à l’humble Cendrillon, restée si longtemps au coin du foyer pendant que ses sœurs orgueilleuses étalaient leurs « oripeaux » aux yeux de tous : aujourd’hui Cendrillon prend sa revanche ; « un jour la science, proclamée la meilleure et la plus belle, régnera en souveraine. » — « Il viendra un temps, dit à son tour M. Renan, où le grand artiste sera une chose vieillie, presque inutile ; le savant, au contraire, vaudra toujours de plus en plus. » M. Renan regrette quelque part de n’avoir pas été lui-même un savant, au lieu d’être une sorte de dilettante de l’érudition. Qui sait si, renaissant aujourd’hui, un Gœthe n’aimerait pas mieux se consacrer tout entier aux sciences naturelles ? si un Voltaire ne s’appliquerait pas plus qu’autrefois aux mathématiques, dans lesquelles il a déjà autrefois montré sa force ? si un Shakspeare, ce grand psychologue, cet esprit de tempérament si scientifique sous son imagination puissante, ne délaisse-