Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/12

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elle ne prétend pas le détruire, elle lui laisse même espérer une part croissante dans la vie humaine : car il est un exercice, assez vain sans doute, mais pourtant hygiénique, de nos facultés les plus hautes. — Jusqu’à quel point cette théorie est-elle vraie ? C’est là un premier et important problème, relatif à la nature même de l’art.

À cette théorie sur le jeu esthétique vient bientôt s’en ajouter une autre plus radicale : si l’art n’est que le jeu des hommes, il est infiniment au-dessous du travail sérieux de la science ; dès lors, a-t-il bien devant lui cet avenir qu’on lui promet ? Le jeu est plus nécessaire aux enfants qu’à l’âge mûr ; dès maintenant il y a un certain nombre d’hommes positifs pour lesquels l’art est un véritable enfantillage : l’humanité future ne leur ressemblera-t-elle pas ? L’art en apparence le plus ennemi de l’esprit scientifique, c’est la poésie : des objections particulières lui sont adressées. Le rythme compliqué du vers, la rime, cet arrangement délicat des mots qui semble si artificiel au premier abord, est ce qui déplaît le plus au rigorisme de l’esprit scientifique. On a comparé irrévérencieusement les poètes à ces joueurs de flûte qui distrayaient les oreilles des anciens pendant leurs repas ; aujourd’hui nous nous passons de joueurs de flûte en dînant, et nos repas n’en sont pas moins animés. Le banquet de l’humanité pourra ainsi, dit-on, se passer des poètes, mais non des savants, qui prépareront seuls le solide du festin et qui entendent le