Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/14

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qui doit emprunter à la pensée et au sentiment toute leur sincérité. Si nous parvenons à établir ces trois points, nous aurons ainsi défendu l’art et la poésie contre les pliilosophes et les savants ; ajoutons : contre les artistes et les portes. Rien de moins compatible avec le sentiment vrai du beau que ce dilettantisme blasé, pour lequel toute impression se restreint à une sensation plus ou moins raffinée, se réduit à une simple forme intellectuelle, à une fiction fugitive, pur instrument de jeu pour l’esprit. Tout ce qui glisse ainsi sur l’être sans le pénétrer, tout ce qui laisse froid (suivant l’expression vulgaire et forte), c’est-à-dire tout ce qui n’atteint pas jusqu’à la vie même, demeure étranger au beau. Le but le plus haut de l’art, c’est encore, en somme, de faire battre le cœur humain, et, le cœur étant le centre même de la vie, l’art doit se trouver mêlé à toute l’existence morale ou matérielle de l’humanité. Que restera-t-il un jour de nos diverses croyances religieuses et morales ? Peu de chose peut-être. Mais, si on nous demande ce qui restera des arts, de la musique, de la peinture, et particulièrement de cet art qui réunit en lui tous les autres et qui mérite d’être étudié à part, la poésie, nous croyons qu’on peut répondre hardiment : — tout, — du moins tout ce qu’il y a de meilleur, de profond et, encore une fois, de sérieux.

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