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CHAPITRE V
DE L’ANTAGONISME ENTRE L’ESPRIT SCIENTIFIQUE ET L’INSTINCT SPONTANÉ DU GÉNIE

L’art n’a pas seulement besoin que la science laisse à l’imagination poétique son légitime domaine, celui de l’idéal, du mystère et même du rêve ; l’art ne peut réaliser au dehors ses conceptions sans le génie, qui n’est autre chose qu’un instinct créateur. Quoi qu’en pensent nos « parnassiens » modernes, le calcul, la patience, la méthode, la bonne volonté sont impuissants à produire une grande œuvre : dans la morale, la bonne volonté est tout, a dit Schopenhauer, dans l’art et surtout dans la poésie, elle n’est rien. Le raisonnement même, en tant qu’il précède la conception de l’œuvre, semble un signe de médiocrité : c’est l’opposé du génie. Schiller écrivait avec profondeur, dans une lettre à Gœthe : « Chez moi, le sentiment commence par n’avoir pas d’objet déterminé et précis. Tout d’abord, mon âme est remplie par uoe sorte de disposition musicale ; l’idée poétique ne vient qu’ensuite. » L’artiste est hanté par un véritable instinct de production ; il n’est pas absolument libre ni conscient ; il ne sait ce qu’il a voulu