Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/193

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plus sa parole devient rythmée et musicale. De même, si l’on pouvait surprendre et noter le langage passionné d’un amant, on y découvrirait aussi une espèce de balancement, d’ondulations régulières, de stances lyriques grossièrement ébauchées. A. de Musset a eu sans doute raison de dire, à propos de la langue des vers, qu’elle a cela pour elle, que le monde « l’entend et ne la parle pas ; » tous pourtant, à certains moments de notre vie, nous l’avons parlée, le plus souvent sans le savoir ; notre voix a eu de ces inflexions mélodiques, notre langage a pris quelque chose de ce rythme cadencé qui nous charme chez le poète ; mais cette tension nerveuse a passé : nous sommes revenus à la langue moyenne et vulgaire, qui correspond à un état moyen de la sensibilité. Le vers nous fait remonter d’un ton dans la gamme des émotions. Fixer, perfectionner cette musique de l’émotion, tel a été au début et tel est encore l’art du poète. On pourrait définir le vers idéal : la forme que tend à prendre toute pensée émue.

Le vers (au moins dans son principe premier, le rythme) n’est donc pas une œuvre factice. L’homme n’est point devenu poète ni même versificateur par une fantaisie plus ou moins passagère de son esprit, mais par un effort de sa nature et selon une loi scientifique. Il importait de poser dès le début ces principes de toute science du vers, principes dont M. Spencer a donné l’esquisse dans ses Essais, et que M. Becq de Fouquières a eu le tort de négliger dans son Traité de versification. Non seulement la plénitude de l’harmonie est le signe naturel de la profondeur du sentiment, mais encore, en vertu d’une autre loi physiologique,